CADET-ROUSSEL OUVRAGES DU MÊME AUTEUR THÉÂTRE La Reine de Tyr, drame en 4 actes, en vers .... 2 fr. » La Cavalière, pièce en 5 actes, en vers, couronnée par rAcadémie-Francaise 3 fr. 50 sous PRESSE : Le Labyrinthe, volume de vers. Falstaff, pièce imitée de Shakespeare, en 5 actes et 7 tableaux, en vers. Il a été tiré de cet ouvrage 100 exe?nplaires sur papier de 3 couleurs et 15 exemplaires sur Japon, Tous droits de traduction, de reproduction et de représentation réservés- pour tous pays, y compris la Suède, la Norvège, le Danemark et la Hollande. Entered according to act of Congress, in the year 1903, by Eugène Fasqueli k, in the office of the Librarian of Congress, at Wasinghtoc AU Rights reserved. JACQUES RICHEPIN CADET-ROUSSEL COMÉDIE EN TROIS ACTES EN VERS Représentée pour la première fois au théâtre Victor-Hugo le 6 novembre 1903. TROISIEME MILLE PARIS LiBRAiRiK CHARPENTIER et FASQUELLE EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR 11, RUE DE GRENELLE, 11 1903 Tous droits réservés. KiiLLixa according to act of Congress, in the year 1903, by E. FASQUELLE, la the office of the Lihrarian of Congress, at Washington. AU Rights reseryed. A MON PETIT FRANÇOIS CETTE IMAGE d'ÉPINAL Novembre 1904. Son père Jacques. PERSONNAGES MM. CADET-ROUSSEL Armand Bour. IlOUSSEL-AINÉ Léon Bernard. AUDE Louis Bourny. LE PÈRE ROUSSEL Edmond Bauer, MATHLVS Térof. Premier Commis Thomann. Deuxième Commis Edmond. Un Valet Régnier. Un autre Valet Lamrerval. Un Bourgeois Vautard. Ua Apprenti Jaubois. Mmes DELVAPORINE Mitzy-Dalti. LA MAILLARD Marcelle Jullien. ^L\RIETTE ROUSSEL Bertile Leblanc, LA MÈRE ROUSSEL Gina Barbieri. En coulisse : Postillons, Voyageurs, Voyageuses, Un Marchand de Journaux; Un Hôtelier; Voix diverses- La pièce se passe sous le Directoire, en Germinal, an IV, Le i"'' acte à Auxerre, le 2^ et le 3^ à Paris. Pour la mise en scène détaillée, s'adresser à M. Avelot, régisseur général au théâtre Victor-IIugo. ACTE PREMIER Cadet-Roussel a trois maisons Lune est sans poutr's, Vautr' sans chevrons. (Chanson populaire de Cadet-Roussel.) CADET-ROUSSEL ACTE PREMIER UNE PLACE PUBLIQUE A AUXERRE Au lond, vieilles maisons encadrant une église qui est transfor- mée en halle : le péristyle et les marches sont occupés par des maraîchères accroupies, derrière leurs paniers. A droite, au premier plan et au deuxième, bâtiment faisant partie dune hôtellerie dont l'entrée, invisible pour les spectateurs, est censée faire face à l'église. — Fenêtre praticable au 1" étage : au-dessous et à droite de la fenêtre, petite porte. A gauche, au premier plan et au deuxième, la boutique de Ihor- loger Roussel. — Porte vitrée au premier plan : au-dessus de cette porte une fenêtre large baie ouverte au second plan; dans cette baie on aperçoit l'établi du père Roussel, chargé de menus outils. Au troisième plan, ruelle étroite et surélevée, descendant en scène, du côté droit, par de longues marches et passant derrière la boutique de Roussel; sur le milieu de ces marches, perpendi- culairement, balustrade en fer forgé; devant la boutique, banc de pierre ; au milieu de la scène, fontaine entourée d'un banc circu- laire devant l'église, réverbère suspendu à une corde transversale au-dessus de la rue. n est quatre heures de l'après-midi : quelques rares ménagères entrent et sortent encore de la halle, dont un gardien vient fermer les grilles pendant la scène 2«; les maraîchères s'en vont. — Le soir tombe pendant la scène 10°. L'allumeur vient allumer le réverbère. — L'acte finit sous une nuit étoilée. Au lever du rideau, le père Roussel travaille à son établi ; Mariette balaye devant la porte : passe un bourgeois. SCÈNE PREMIÈRE LE PÈRE ROUSSEL, MARIETTE, Un Bourgeois, Un Apprenti le bourgeois Maître RousseL.. Fort bien. CADET-ROUSSEL MARIETTE, courant à sa rencontre. Voici la montre. LE BOURGEOIS Elle va bien? LE PÈRE ROUSSEL LE BOURGEOIS Ah ! au revoir. LE PERE ROUSSEL Au revoir citoyen. (Le bourgeois sort par la gauche. Arrive en courant un apprenti par la droite.) L'APPRENTI, essoufflé. La pendule du conseiller? LE PÈRE ROUSSEL Je la lui porte Tantôt. L'APPRENTI Merci bien. (Il sort en courant.) SCÈNE II LE PÈRE ROUSSEL, MARIETTE MARIETTE Tu travailles!... LE PÈRE ROUSSEL Que m'importe ! Quand le soleil descend le soir à petits pas Dans les arbres et sur les toits, trouves-tu pas, Mariette, que rien n'est plus joli qu'Auxerre Avec ses ponts sur l'Yonne et qu'il est nécessaire Pour vivre absolument heureux d'être Auxerrois? ACTE PllEMlER MARIETTE, avec un soupir. Auxorre était plus belle. encore au temps des rois! LE PÈRE ROUSSEL Les Jacobins nous ont-ils fait si grand dommage? Sans les aimer, je leur veux rendre un juste hommage. MARIETTE Aux Jacobins, lequel? LE PÈRE ROUSSEL Si, mais si... Car s'ils ont Changé l'église en halle, et le cloître en prison Leur conduite à mon gré mérite mille éloges D'avoir endommagé si peu de mes horloges. MARIETTE Qu'à vos horloges ils n'aient rien endommagé. Cela vous suffit donc, vous? LE PÈRE ROUSSEL Je suis horloger. MARIETTE Monsieur Aude n'est pas de l'avis dont vous êtes : Il l'a même, à Paris, écrit dans des gazettes; Car il écrit très bien. Monsieur Aude. LE 1 ÈRE ROUSSEL Je sais. MARIETTE Les pièces qu'il compose ont beaucoup de succès. Et puis, il aime tant Cadet!... LE PÈRE ROUSSEL Je sais. MARIETTE Mon frère L'aime aussi. Vous trouvez qu'il a tort? i) CADET-nOUSSEL LE PÈRE ROUSSEL Au contraire. MARIETTE, lou^'^issanl do plaisir. Ail!... LE PÈRE ROUSSEL Que l'importe? MARIETTE, se troublan^. A moi... LE PÈRE ROUSSEL Tu rougis... tout à coup. MARIETTE .le... LE PÈRE ROUSSEL Pourquoi tout cela? MARIETTE ... Cadet Taime beaucoup. Pauvre Cadet, lu sais, il a besoin qu'on l'aime. LE PÈRE ROUSSEL Je l'aime, moi. MARIETTE Mais tu le crois toujours le même. Et parce qu'il a l'air goguenard ou simplet lu ne vois pas qu'au fond, c'est malheureux qu'il est ! LE PÈRE ROUSSEL, quittant son établi. Malheureux ! MARIETTE Par la faute. LE PÈRE ROUSSEL Hein? MARIETTE Oui, ACTE PREMIER 1 LE PÈRE ROUSSEL Moi qui le Irai le Avec la douceur, Tindulgence secrète Qu'on n'a que pour les siens et dont on se défend, Moi qui Faime comme un p^i^ aiïne... MARIETTE Un grand enfant. C'est cela dont il soliffre! le père roitssel QIl! mariette vois mon autre frère : On le traita toujours comme un hommc^ au contraire. LE PÈRE ROUSSEL (Vest que Roussel-aîné avait ce qu^ n'a pas Cadet-Roussel, un air d'importance, des bas Bien tirés, des souliers dont chaque boucle brille. Il portait bien les redingotes de famille. Et savait, sans jamais défriser son toupet, En coiffant le tricorne, inspii*er le respect. MARIETTE Ce qui n'empêche pas qu'à faire l'agiolage Il mangea tous vos biens ainsi qu'un héritage. LE PÈRE ROUSSEL, avec indule-enco-. Pas tous encore. MARIETTE Au fond,, moi ce que je t'en dis, ( '/e^l parce ({ue Cadet en a souffert jadis; Oui lorsqu'un jour l'aîné partit, voilà plus d'une Année, il t'en souvient, pour tenter la fortune, Emportant notre avoir jusques au dernier sou, Oui, Cadet a souffert, tu sais, souffert beaucoup, Que lui montrant alors si peu de confiance Vous missiez dans l'aîné toute votre espémnce !... Dépuis, maman n'en fut que plus dure avec lui. 8 CADET-HOUSSEL LE PÈRK ROUSSEL ('."('>( M'ai... MARIETTE Sans cesse enfin elle le maltraite. LE PÈRE ROUSSEL Oui! MARIETTE Tu devrais te fâcher, te montrer plus un père! LE PÈRE ROUSSEL, Icmbrassant. Je n'ose pas. MARIETTE, toute souriante. Pourquoi? (Entre La Maillard en coup de vent. C'est une commère de quarante ans, portant des vêlements cossus aux couleurs trop criardes, «ne coiffure trop enrubannée : elle a le geste expansif et le verbe haut.) SCÈNE III Les MÊMES, plus LA MMLLARD LA MAILLARD, avec indignation. Non, cela m'exaspère! Maltraiter un enfant qui n'a rien fait de mal ; Etre pire envers lui qu'envers un animal ; En pleine rue, aux yeux de tous, lui faire honte ; Avoir la main autant que la parole prompte A le frapper; bref, se conduire indignement : Voilà ce que fait votre femme en ce moment! MARIETTE C'est à Cadet encor qu'elle en a ! LA MAILLARD Le pauvre être Qu'on martyrise ainsi ! Pouvez-vous le permettre ? LE PÈRE ROUSSEL Contre- carrer ma femme et défendre mon fils, C'était là des combats que je tentais jadis, ACTE PREMIER Du temps, ma bonne, où vous teniez l'hôtel en face. Où je vous sentais là, si je manquais d'audace! Mais depuis qu'on vous vit nous quitter pour Paris, Je redevins le plus timide des maris 1 D'ailleurs Cadet souvent mérite qu'on le gronde ; Il a bien des défauts. LA MAILLARD Mais il n'est pas au monde Un seul enfant qui n'ait plus de défauts que lui ! MARIETTE (Test maman qui t'en as convaincu. LE PÈRE ROUSSEL Mais... LA MAILLARD Mais oui. C'est à sa mère que dans toute sa jeunesse. Il a sans cesse dû que l'on le méconnaisse I LE PÈRE ROUSSEL A sa mère ? LA MAILLARD Oui, bien sûr! Quand on lui demandait : Que devient le second de vos fds? — « Ah ! Cadet ! Disait-elle, il est dépourvu de tout mérite : Niais, mal élevé, paresseux, hypocrite; Et j'en tais la moitié : l'on est trop indulgent Pour ses enfants. Un fds pareil ! C'est un Jean-Jean, Un Jocrisse, c'est un Bobèche, un Nicodème ! » Et tous croyaient sa mère et j'eusse fait de même : Si je n'avais pas su ce que valait Cadet. MARIETTE Comme vous êtes bonne !.. Ah ! s'il vous entendait! LA MAILLARD Il ressemble à l'enfant que je perdis moi-même : C'est pourquoi je suis bonne et c'est pourquoi je l'aime; Chez nous toutes pour qui le sort eut ces rigueurs. Un besoin de tendresse est resté dans nos coeurs; iiO CADKT-liOLSSEL Mais ne pouvant, hélas ! la garder pour les nôtres^ Celle lendi'esse va vers les curants des autres. LE rkwK ROUSSEl- Je vous sais gr<^ d'aiuicr si loi t lous^mes- petits, LA MAILLARD Oh !. Pas tous I Mariette et Cadet sont genlils, Et je les aime autant, que j'aime peu leur frère ! C'est comparer les assignats au numéraire : Le papier vaut cent fois moins que l'argent; ainsi Vaudrait le taux de l'autre auprès de ces deux-ci! LE PERE ROUSSEL Comment l'aîné ne vaut pas les cadets ? LA MAILLARD Non cei:te. LE PÈRE ROUSSEL N'a-t-il plus l'esprit vif, Fintelligence ouverte? LA MAILLARD Si, mais fe cœur ffemné : c'est un homme d'airgent Qui croit qu'être sans cœur c'est être intelligent, Qu'il n'est pas de trafic sans fraude ni sans ruse Que se garder des gens empêche qu'on l'abuse. Et qui malgré cet air hargneux qu'il s'est donné Pour être méfiant n'en est pas moins berné. LE PÈRE ROUSSEL Par qui ? LA MAILLARD Par... (Elle lait signe au père Roussel q^ue Mariette est de trop.) LE PÈRE ROUSSEL Laisse-nous un moment seuls, ma belle. MARIETTE Oui, père. (Elle rentre dans la maison.) LE PkUE ROUSSEL Alors? LA MAILLARD- Par une femme. LE PÈRE ROUSSEL Ah? LA MAILLARD Delvaporiiie. Qui s'appell( Ah LE PERE ROUSSEL LA MAILLARD Oui, Duclosr est son vrai nom. LE PÈRE ROUSSEL Elle lui coûte cher? LA MAILLARD Bien que fort riche. LE. PÈRE ROUSSEL, indigné. Non? LA MAILLARD Elle se fait sous le faux nom aider des hommes Pour pouvoir sous le vrai placer de fortes sommes^ Acheter de la terre... LE PÈRE ROUSSEL Ah bah ! LA MAILLARD Oui, notamment LE PÈRE ROUSSEL Vous croyez... Ici : dans le pays. LA MAILLARD Oui, vraiment^ Et même, j'en suis sûre; hier encor, je l'ai vue... 12 CADET-ROUSSEL LE PÈRE ROUSSEL Où donc ? ^ LA MAILLARD Là... dans l'hôtel, avoir une entrevue Avec un de ses gros fermiers, son intendant. Qui, tremblant, lui rendait ses comptes : cependant Votre fils à Paris, doit lui payer ses notes; Il se fait tondre par ces petites quenottes : Et bien qu'elle le trompe en toute liberté Lui qui doute de tous n'en a jamais douté ! LE PÈRE ROUSSEL Et vous la connaissez? LA MAILLARD Je suis bien avec elle. LE PÈRE ROUSSEL C'est une femme. Le méchant fils. LA MAILLARD Douce... et très spirituelle. LE PÈRE ROUSSEL LA MAILLARD Je rentre à Paris dès ce soir. LE PÈRE ROUSSEL J'y voudrais bien aller quand même pour le voir. LA MAILLARD Les deux autres vous l'ont fait oublier, j'espère? LE PÈRE ROUSSEL Je les aime tous trois. LA MAILLARD Pourtant... LE PÈRE ROUSSEL Je suis leur père. ACTF' PREMIER 13 LA MAILLARD Eh bien, moi, mon ami, si Ton me demandait D'en choisir un... LA MÈRE ROUSSEL, en coulisse. Cadet ! Cadet ! CADET, même jeu. Maman ! LA ML:RE ROUSSEL, même jeu. Cadet ! LA MAILLARD Elle le persécute encor : c'est de la haine. LE PÈRE ROUSSEL Pas même. LA MÈRE ROUSSEL, même jeu. Polisson ! LA MAILLARD Cela fait de la peine. .LE PÈRE ROUSSEL Mais non : c'est l'habitude. LA MÈRE ROUSSEL, même jeu. Ici, Cadet ! CADET, même jeu. J'y cours ! LA MAILLARD Alors, elle est ainsi tous les jours? LE PÈRE ROUSSEL Tous les jours. (Entre Cadet-Roussel, poursuivi par sa mère : il porte des habits d'une coupe baroque, aux couleurs disparates, mais fanées : ses manches sont trop courtes : ses culottes décousues, ses bas troués; une image d'Épinal déteinte il a l'air falot, godiche, effaré, mais son regard est malicieux.) 1'* GADET-ROUSSEL SCÈNE IV Les Mêmes, CADET, LA IMÈRE ROUSSEL LA MÈRE ROUSSEL, au roinblo do la colère. Coinmoiil... CADKT Quoi, mère, quoi ? LA MÈRE ROUSSEL Comment, le travail presse! El je te vois toujours promener ta paresse Par la ville, les brc^s' ballants, le nez au vent, Et te moquer de moi toujours comme devant ! MARIETTE, voulant s'interposer. Maman ! LE PÈRE ROUSSEL, l'arrêtant. Laisse-la : c'est sa façon d'être tendre MARIETTE, n^ême jeu, à Cadet. Cadet, toi I LE PÈRE ROUSSEL, avec bonhomie. Laisse ; il faut crier pour bien s'entendre. LA MÈRE ROUSSEL Oui, tu n'es qu'un objet d'opprobre et de mépris. CADET, se inoquant d'elle. Non, ma mère, jamais vous ne m'avez compris ! J'ai trois cœurs ; un cœur de fils, doux, tendre, fidèle, Aimant sa mère trop, sans tix)p être aimé d'elle ; Un cœur de rêve, audacieux, extravagant. Qui pleure et rit, sans savoir où comme ni quand ; Enfin un cœur d'oiseau qui vole avec des ailes : Ma mère, celui-là, c'est pour les demoiselles. LA MÈRE ROUSSEL Nous verrons qui des deux. Cadet, aura raison. Va, rentre à la maison. ACTE PREMIER €ADET Oh ! la pauvre maison Auprès des trois que mon cerveau, moi, me suggère : Une première à la toilure si légère. Qu'on s'y croirait par tous les temps à- ciel ouvert : .l'aurais celte maison pour habiter l'hiver. LA MÈRE ROUSSEL (Vesl tout lui! CADET La seconde, aux vents chauds exposée, Ne serait pour ainsi dire qu^une croisée; Du soleil on n'y pourrait pas être abrité : Bien entendu, c'est là que je vivrais Tété. La troisième... LA MÈRE ROUSSEL Il est fou! CADET ... Rien qu'en pierre de taille Avec des arcs-botilants en ligne de bataille Serait très haute avec des toils jamais finis; Si bien que l'on verrait pour construire leurs nids, Chez le pauvre Cadet qu'on sait amoureux d'elles. Se rassembler le soir toutes les hirondelles. MARIETTE Que lui conte-t-il là? LE PÈRE ROUSSEL Quel drôle de garçon ! LA MAILLARD On le maltraite : il se rebilTc à sa façon. LA MÈRE ROUSSEL Je devrais, en voyant ta mauvaise conduite, Cesser pour toi d'être une mère... CADET Oh ! tout de suite ! 16 CADET-ROUSSEL lA MÈRE ROUSSEL Non pas: Je veux qu'en tout tu sois aussi parfait Que ton frère. CADET Ça ! c'est impossible. LA MÈRE ROUSSEL En effei: Mais tu pourrais au moins lui ressembler... CADET J'en tremble. Se peut-il qu'un cadet à son aîné ressemble? Non, il est plus que moi dans l'ordre universel: Il est Roussel-aîné, je suis Cadet-Roussel. LA MAILLARD Aîné, cadet, vos droits sont aujourd'hui les mêmes. CADET, à sa mère. Tu devrais donc m'aimer aussi, puisque tu l'aimes LA MÈRE ROUSSEL ' Ingrat ! Ingrat ! .LE PÈRE ROUSSEL On t'aime autant qu'un fils aîné. CADET C'est à ma mère et non pas à toi que j'en ai; Car il est d'autres biens que ceux d'un héritage Que mon frère a... LA MÈRE ROUSSEL Tu n'en diras pas davantage. CADET Et moi que je n'ai pas: c'est de quoi je t'en veux. LA MÈRE ROUSSEL Tais-toi. ACTE PREMIER GA.DET Non ! (p]lle lui tiro les cheveux.) Aie! LA MÈRE ROUSSEL Il se taira. CADET, recommençant à se moquer d'elle. Mes trois cheveux. Deux de moins! LA MÈRE ROUSSEL Pousse des cris : je n'en suis pas dupe. CADET Il ne m'en reste qu'un pour me coiffer en huppe. (Delvaporine paraît à la fenêtre do droite, Cadet ne l'apergoit pas^ LE PÈRE ROUSSEL, bas à la Maillard. Otte femme là-haut dans cet ajustement, ('.est la maîtresse de mon fils? LA MAILLARD Oui justement. LE PÈRE ROUSSEL Ma bonne, on comprend trop qu'un tel minois lui i)laise, CADET Tu m'as endommagé... LA MÈRE ROUSSEL Fais donc ta voix niaise! CADET Décoiffé, déchiré... LA MÈRE ROUSSEL Prends ton air ébaubi : Tu sais bien parler quand tu veux ! CADET, avec volubilité. Mon bel habit. 3 18 CADEÏ-HOUSSEL Ileurcuseincnl que j'ai des habits do rechange, Oui, j'ai trois habits : l'un d'une nuance étrange, A la l'ois vert et bleu, rouge et jaune, arc^en-ciel, Mais surtout, car pour moi c'était l'essentiel, Transparent : il nie donne une grâce infinie, (Vest mon habit de bal et de cérémonie. LA MÈRE ROUSSEL Henlre sur l'heure. .. et sans plus te faire prier I CADET Mon autre habit est un habit moins habillé, Un habit monastique et simple, tput en laine : C/est l'habit des bergers qui s'en vont par la plaine Sous le couvert pointu d'un rustique chapeau, ('onduire leurs moutons en jouant du pipeau, Et qui le soir, à l'heure où l'on se met à table, En rentrant leurs brebis bêlantes dans l'étable. Les retrouvent dans l'ombre, une à une, à tâtons : Si j'aime les oiseaux, j'aime aussi les moutons! LA MÈRE ROUSSEL Cela veut dire? LA MAILLARD Il la taquine. LE PÈRE ROUSSEL C'est pour rire. CADET Tout ce qu'on veut, maman, que cela veuille dire. (Emphatique.) Mais attends mon troisième habit ; car un mortel N'en a jamais porté, rêvé môme de tel. . Sa grâce européenne autant qu'orientale. Eblouirait n'importe quelle capitale, En restant de bon ton partout, fût-ce à Paris, C'est un habit... (Il aperçoit soudain Delvaporine : il pâlrt, puis très ému, balbutie. C'est un... habit... en papier gris. ACTE PREMIER 10 Non! c'est un bel habit... pas beau... je perds la (ete 1 Un triste habit... un vieux... vilain... habit... un bêle D'habit... bien ridicule... oui, comme celui-là, Un pauvre... un tout petit habit... (Il s'appuie contre la porto «le la boutique pour no pas tomber, puis dis- paraît à l'intérieur.) SCÈNE V Lks Mêmes, moins CADET LA MAILLARD Qu'est-ce qu'il a Si Iriste tout à coup, lui si gai tout à l'heure? MARIETTE Il est ainsi ; c'est Jean qui rit et Jean qui pleure.' LA Mi<:RE ROUSSEL Un lel sans-gêne!. . LE PÈRE ROUSSEL Mais... LA MÈRE ROUSSEL Il n'y a pas de mais ! Moi. je ne comprends pas comment tu lui permets Qu'avec moi de la sorte il en prenne à son aise. LA MAILLARD Moi je ne comprends pas qu'on soit aussi mauvaise. LA MÈRE ROUSSEL Comment ! LA MÈRE MAILLARD Oui c'est vouloir son malheur, non son bien, Qu'ainsi le harcèlera toute heure, et pour rien! Au lieu de le poursuivre avec vos cris de singe... LA MÈRE ROUSSEL \ raimenl? -20 CADET-nOUSSEL LA MÈRE MAILLARD Vous feriez mioiix de repasser son linge De veiller plus à ses vêlements déchirés, Ses bas à trous et ses souliers jamais cirés, De lui montrer dans tous ces soins plus de tendresse Kl s'il vous semble enclin parfois à la paresse, De le gronder un peu sans Tépouvanter trop, Détre une mère enfin au lieu d'être... LA MÈRE ROUSSEL, finissant la phrase. Un bourreau! Merci de vos conseils, mais je vous en dispense ! LA MAILLARD Ne peut-on seulement vous dire ce qu'on pense? LA MÈRE ROUSSEL Non, quand on pense mal, LE PÈRE ROUSSEL C'est bon... Chacune a son Avis. LA MÈRE ROUSSEL Non ! elle a tort. LA MAILLVRD Elle n'a pas raison. LA MÈRE ROUSSEL Pourquoi faire à l'enfant son enfance trop belle? Pour que contre la vie ensuite il se rebelle! LA MAILLARD Pour qu'il soit cependant du bonheur coutumier Doit-il chez lui manger son pain blanc le premier. LE PÈRE ROUSSEL Chut! (On entend un carillon; puis l'horloge tinte.) Un... Deux... Trois... (Un silence.) ACTE PREMIER 21 Trois! Pas un de plus! à cinq heures! Encore détraquée! Une de mes meilleures Horloges. MARIETTE Va vite. (Elle lui présente son chapeau et sa canne.) LE PÈRE ROUSSEL, en s'en allant vers la droite par la ruelle. Oui. (Bas à la Maillard.) Quel bonheur de vous voir La ([uereller si fort. LA MAILLARD, même jeu et en l'accompagnant. Ce serait un devoir A vous. LE PÈRE ROUSSEL, même jeu. Je n'ose pas. LA MAILLARD, même jeu. Poltron. LE PÈRE ROUSSEL, même jeu. Je m'en rends compte. LA MÈRE ROUSSEL, se doutant de ce qu'ils disent. Oue dis-tu? LE PÈRE ROUSSEL, avec affectation. Mon horloge... en retard... quelle honte! (Le père Roussel et la Maillard sortent par la ruelle, à droite.) SCÈNE VI MARIETTE, LA MÈRE ROUSSEL MARIETTE Je trouve que mon père a raison. Pour un fils On est moins dure, on est comme tu fus jadis Pour notre frère aîné, trop bonne, injuste même : r.'est être juste qu'être injuste quand on aime ! 3. n CADET-ROUSSEL LA MÈRE ROUSSEL Ouais, ma fillo, voilà de drôles de façons! Mais on sait le pourquoi de vos belles leçons : \'otre indulgence à tous les p(''chés, môme aux vôtres, Plaide contre vous-môme en plaidant pour les autres, MARIETTE Ma n)èie, (pTai-je fait? LA MÎaiE ROUSSEL Oli ! rien en vérité Que choisir un mari... MARIETTE Mais... LA MÈRE ROUSSEL Sans me consulter. MARIETTE Mais puisqu'il me plaisait. LA MÈRE ROUSSEL 11 est sans sou ni maille. MARIETTE Monsieur Aude travaille. LA MÈRE ROUSSEL Il travaille? MARIETTE Il travaille. LA MÈRE ROUSSEL Il gagne de quoi vivre à peine en travaillant, Toi, tu n'as pas de dot, rien, pas un franc vaillant. MARIETTE Mon frère Ta mangé. LA MÈRE ROUSSEL C'était un sacrifice Qu'il fallait l,ous qu^ uous fîesions. ACTE PREMIER 23 MARIETTE Non, que je fisse. lA MÈRE ROUSSEL Allend que la forlune à Ion frère ail souri Qu'un mari de son choix... MARIETTE J'ai choisi mon mari. LA. MÈRE ROUSSEL Tu sais mon dernier mot. MARIETTE Hélas, oui! LA MÈRE ROUSSEL Qu'il m'apporte En demandant ta main.., MARIETTE La somme est par trop forte. LA MÈRE ROUSSEL Deux cent mille francs d'assignats : soit en argent Dix mille francs, c'est n'être pas très exigeant Et ton citoyen Aude est mon gendre. MARIETTE Mon père (consentirait... LA MÈRE ROUSSEL Moi pas ! MARIETTE Écoute-moi. J'espère Quand il va revenir de Paris, qu'en etl'et Il aura cet argeut, mais sinon .. LA MÈRE ROySSEL Rien n'est fait! 24 CADET-ROUSSEL MARIETTE Sil iiavîiil (jiK' six mille... ^ (La môre Roussel fait signe que non ) Ou huit... (Même jeu.) Neuf? Qu'il les garde! LA MERE ROUSSEL MARIETTE, en pleurant. Ah ! mon Dieu ! mon Dieu I LA MÈRE ROUSSEL Pleure ! MARIETTE Oui... LA MÈRE ROUSSEL Pleure, mais prends garde I On commence par être ainsi mutine un peu Et Ton finit par tourner mal. MARIETTE, tombant assise sur le banc. Mon Dieu ! mon Dieu ! (La mère Roussel rentra dans la boutique. Cadet en sort par la baie en enjambant l'établi.) SCÈNE VII CADET, MARIETTE CADET, s'approchant de Mariette, avec tendresse. Voyons, pourquoi pleurer, dis, comme une fontaine. Réponds, petite sœur, pourquoi? MARIETTE, pleurant, en cachant sa figure dans ses mains. J'ai trop de peine. CADET Encor maman? ACTE PREMIER MARIETTE Toujours maman. CADET Pour lui? MARIETTE Pour lui. CADET Aude alors lui déplaît, Aude, est-ce possible? MARIETTE Oui! Un artiste. CADET Un penseur. MARIETTE Un brave homme. CADET Un poète. BastI II rapportera Fargent. MARIETTE, un peu réconfortée Je le souhaite. Mais que c'est bien à toi de me parler ainsi. CADET C/est tout naturel. MARIETTE Non, car tu souffres aussi. CADET Un peu, un peu. MARIETTE Dis-moi de quoi. CADET Oui, oui, sans doute... MARIETTE C'est si bon d'être consolé. 20 CAI)hT-l{OUSSb:i. CADET, très ému. Bien sûr. Écoute... Voilà... Non, pas si haut... Tout bas.. Môme tout bas, Non, vois-tu, non décidément je ne peux pas. MARIETTE Il n'est personne qui mieux que moi te comprenne Founpioi ne pas parler, pourquoi? CADET, pleurant avec lo même goslo que Mariette tout à l'heure. J'ai trop de peine. MARIKTTE Si d'aucuns souffrent seuls, c'est qu'on s'écarle deux : Profite de souffrir puisque nous sommes deux. Allons, parle. CADET, avec désespoir. Oui, merci, ma souffrance est si grande... Je souffre de je ne sais quoi... je me demande S'il ne vaudrait pas mieux mourir... (Delvaporine reparaît à sa fenêtre et sourit légèrement. Alors Calcl so rassérénant.) Quoiqu'au moment De mourir... il me semble... au fond, vivre est charmant! MARIETTE Tu dis? CADET, extrêmement agité. Que je me sens plein d'un immense trouble... Que je suis triste!., et pourtant gail que je suis double! Mais me voici réconforté, ragaillardi. MARIETTE Tu dis? CADET, avec enthousiasme. Que je suis gai, simplement; et je dis Que c'est toi qui m'en as convaincu, ma mignonne Et que personne au monde, oui, tu m'entends, personne N'a sur moi le pouvoir que toi tu viens d'avoir Et qu'il est surprenant de voir un tel pouvoir. ACTE PREMIER MARIETTE Mais je ne t'ai rien dit, ('adet, tu perds la tète! CADET Justement : me parler alors eût été bete. Kt tu ne le fis pas. MARIETTE Mais je... CADET Mais tu fis mieux : Tu me parlas, sans rien me dire, avec tes yeux. Et le subtil accent de ton silence tendre Ma d'autant plus touché que j'ai moins pu l'entendre! MARIETTE 11 exlravague un peu, maman n'avait pas tort. CADET Mariette, merci : sans toi, je serais mort! C^ar j'étais sur le point de mourir tout à l'heure. Mais tu ris et je ris; tu pleures et je pleure. MARIETTE -Xous étions fous. CADET Quels vains soucis je me forgeais : 11 me vient maintenant des projets. MARIETTE Des projets? CADET Des projets de grandeur, d'ambition, de fuite. VA pourquoi pas, mais oui, pourquoi pas tout de suite? MARIETTE Oue veux-tu dire? GADEr Rien. 28 CADET-nOUSSEL MARIETTE Mais encor? CADET Je m'entends. MARIETTE A.U moins explique-moi. CADET Je n'en ai pas le temps. Mais, Mariette, vois, je ne suis plus le môme. Je suis changé, je suis métamorphosé, j'aime... La vie. Allons, ma sœur, soyez heureuse aussi Aude revient, Aude vous aime. MARIETTE Oui, oui, merci... (On entend un bruit de ferraille et de grelots qui va se rapprocl.anl.) D'où vient ce bruit? CADET, montrant l'église. De là. MARIETTE Mais le marché nous cache Ce que c'est. (On distingue les coups de fouet, les cris des postillons.) CADET Coups de fouet, grelots : c'est la patache. MARIETTE Elle vient de Paris. CADET Cela m'est bien égal! MARIETTE Aude est peut-être là : je vais me trouver mal ! (La diligence demeure invisible : on la devine arrêtée devant la porto de l'hôlellerie : au milieu d'un brouhaha général, on distingue quelques voix plus bruyantes ou plus aiguës que les autres.) ACTE PREMIER 29 SCÈNE VIII Les Mêmes, plus en coulisse : Prkmirr Postillon, Deuxième PosT.LLON, Premier Voyageur, Un Marchand de Journaux, Un Auxerrois, plusieurs Badauds, Un jeune Auxerrois, Une jeune Voyageuse, Deuxième Voyageur, Une vieille Voyageuse, l'Hôtelier, puis AUDE. premier postillon Là ! deuxième postillon Prenez garde ! un voyageur Us vont tourner. premier postillon Holà, Bichette! un marchand de journaux, criant. Le marché de Paris! UN auxerrois, indigné. Tous vendent; nul n'achète ! Place 1 place! deuxieme postillon badauds Récalcitrants Oh! un jeune auxerrois, grosse voix. Bonjour, citoyenne.. une jeune voyageuse, voix pointue. Bonjour ! deuxip:me voyageur Mes malles! premier POSTILLON Attendez qu'on entre dans la cour. 4 30 CADET-IlOUSSia LA JEUNE VOYAGEUSE On dosccnd? DEUXIÈME POSTILLON Non! L\ JEUNE VOYAGEUSE Si! PREMIER POSTILLON (On ealond une lourde porte grincer sur ses gonds.) Non ! SOUS la porte cochère ! LE MARCHAND DE JOURNAUX Les journaux! UNE VIEILLE VOY^AGEUSE, voix chevrotante de vieille dame. J'étouffe! LA JEUNE VOYAGEUSE Ah ! mon cher! DEUXIÈME POSTILLON Morbleu ! LE JEUNE AUXERROIS Ma chère L'HOTELIER Fermez la porte. BADAUDS RÉCALCITRANTS Oh ! (On entend la porte se fermer : le bruit cesse.) MARIETTE, n'osant regarder elle-même. Lui? CADP]T Non ! MARIETTE Il avait promis. CADET Le voilà. ACTE PREMIER 31 MARIETTE (Vcsl vrai? CADET Tiens ! Aude ! (Arrive Aude, chargé de paquets; l'allure d'un jeune écrivain un pca ridicule, phvsionomie ouverte, teint pâle, longs cheveux.) MARIETTE Aude! AUDE Ah! mes amis! (Il les embrasse, puis avec précipitation :) .lai Fargent! MARIETTE Quel bonheur ! (^Tous trois dansent en ronjl; soudain ils s'arrêtent : une porte a claqu'^ dans la boutique.) On a bougé... CADET, faisant signe à Mariette d'y aller. Regarde. MARIETTE, y courant. Oui! Dieu! Si c'est maman... AUDE, avec volubilité. Ah ! mon cher, il me tarde De te conter ma chance... CADET, même jeu. Eh bien, moi, c'est plus fort, Apprends... AUDE ^ D'abord, écoute... CADET Ecoute-moi d'abord, Il faut que je te dise... AUDE Et moi que je t'explique... •^2 CADET-ROUSSEL CADKT Une hisloiiv... , AUDE Une a flaire... CADET ... Exquise... AUDE Magnifique... CADET Tu ne peux concevoir ce qui m'est arrivé ! AUDE Mon cher, j'ai fait sortir les écus du pavé. MARIETTE, se rapprochant. Ce nVsl rien. CADET, sans l'entendre. J'ai le cœur plein d'une angoisse immense, AUDE Parle ! CADET , apercevant Mariette. Devant elle impossible... AUDE Ah! [ CADET Toi, commence MARIETTE Oui. (Ils s'asseyent tous deux sur le bord de la fontaine.) CADET, à lui-même. Quel trouble est le mien! AUDE Tu ne m'écoutes pas. ACTE PREMIER 33 CADET Si, je pensais loul haut. AUDE Au moins, pense loul bas. CADET \'a. AUDE, avec suffisance. Le bruil court parmi les gens de mœurs sévères Que les poètes ne sont pas hommes d'affaires' Quelle erreur! Ainsi, moi, qu'on n'y croit pas enclin, Du premier coup j'y fus très fort et très malin. CADET Que fis-tu? AUDE J'écoutai mon cœur, pensant qu'en somme Pour être homme d'argent, on n'en est pas moins homme El sans que je l'en visse autrement étonné J'allais trouver pour lattendrir Roussel-aîné... CADET Mon frère! MARIETTE E.tqu'a-t-il fait.^ AUDE Il fut charmant en diable, I\Ie promit de m'aider, mais' pour m'ôlre agréable, El, puisque nous étions déjà presque parents Bien qu'on prêlât l'argent à des taux effarants De me prendre aussi peu d'intérêts que possible, Puis il me dit combien son cœur était sensible A cette marque d'amitié qu'en ce moment Je lui donnais. Enfin il fut exquis... CADET Comment Traîtâtes-vous? 3i CADET-ROUSSEL AUDE Tu sais que je gagne à graiurpeine Cinq mille livres l'an, cin([ ou quatre en moyenne CirAre au succès (ju'ou fait à mes nombreux écrits i Je le (lis à Roussel (|ui connaissait leur prix, Et (|ui sur riieiire me paya dix mille livres. CADET Contre quoi? AUDE Contre tous mes droits sur tous mes livres. Et tous mes droits d'auteur au théâtre, et cela Pour seulement vingt ans consécutifs : A'oilà ! MARIETTE, riant. A'ous êtes volé ! i\Ioi AUDE, très sérieux. ? CADET C'est clair L.. AUDE Moi. MARIETTE Payer mille Du cent t Mil ! AUDE, Quel CADET, révolté, regardant Cadet avec admirai nn. cerveau! CADET, modeste. Non, mais je m'as AU[>E ^simile. Ah ! que n'étais-tu 1 àl C\DET Mon iVère est un bandit! AUDE Que veux-tu, l'argent vaut très cher : il me Ta dit! ACTE PREMIER CADET C'est honteux! AUDE, avec tl.'sinvolture. Maintenant (|uc la bêtise est faite, Tant pis! Profitons-en. MARIETTE Comment? AUDE J'ai l'âme en fêle. L'argent comptant vous rend libre de tout lien Nous irons vivre au bord d'un lac italien! CADET, pratique. Descends un peu du ciel, Aude, où tu te promènes. AUDE Mais... "CADET Combien durera voire argent? MARIETTE Six semaines! Et comment vivrons-nous après? AUDE, naïf. Mais en faisant Un livre. CADET Tes droits sont touchés dès à présent. AUDE Diable! Une pièce alors! CADET Mais c'est la même chose. AUDE, dësai-pointé. Il dit vrai. CADET Cependant, tu vois la vie en rose! 30 CADET-ROUSSEL AUDE Ohl non! CADET C'est la misère. AUDE Hélas! CADET Pendant vingt ans! AUDE, désespéré. Pendant toute la vie. CADET Et vous étiez contents, Et tu te croyais fort en affaires! AUDE J'avoue Qu'il m'a joué : il peut arriver qu'on vous joue Quand on est aveuglé par l'amour comme moi. CADET Non! AUDE Cadet... (Il ne lui répond pas.) Mariette... (Elle se lait.) Eh bien, c'esl tout?... MARIETTE Je... AUDE, à Cadet, CADET, bourru. Moi je ne trouve rien. AUDE Et vous? Toi A GTE PREMIER 37 MARIETTE Moi je vous aime. AUDE ('omment nous marier maintenant ? MARIETTE, tendrement. Tout de môme... (Soudain surgit de la boutique la mère Roussel.) SCÈNE IX Les Mêmes, LA MÈRE ROUSSEL LA MÈRE ROUSSEL, sévèrement. Roiil !'('/, ma fille. AUDE, etTrayé. Ah!... MARIETTE, timidement. Mais... LA MÈRE ROUSSEL Pas ce ton insolent ! ("/est trop fort! Parler dans la rue à son galant! AUDE, voulant s'expliquer. Citoyenne!... LA MÈRE ROUSSEL, à Mariette. Rentrez d'abord. MARIETTE Je... LA MÈRE ROUSSEL Tout de suite. (Mariette rentre dans la boutique.) AUDE Xoic'i... :!s gadkt-uuIjSSEL LA MKRK KOUSSEL Non, cliez moi, quand vous mo rendrez visite. ('.ADET, venant à ]a rescousse. Pourtant, maman... LA MÈRE ROUSSEL, avec violence. Toi, rentre aussi, mauvais garçon. CADET, narquois. Renlrer? LA MÈUr<: ROUSSEL A la maison. CADET, même jeu. Olil la pauvre maison Auprès des trois... LA INJÈRE ROUSSEL, s'cnfiiyanL Assez... CADET, la poursuivant. Alors, sois plus gentille. AUDE Oui. LA MÈRE ROUSSEL, du pas de sa porte, avec dignité. Courtisez la mère et vous aurez la fille. (Elle rentre dans sa boutique.) (La nuit tombe lentement pendant la scène suivante.) SCÈNE X AUDE, CADET AUDE, avec découragement. Que je suis malheureux! CADET, prenant un air fatal. C'est le sort des amants. Mais tu ne souffres pas le quart de mes tourments ! ACTE PREMIER Ta peine est grande, moi, Ja mienne est encore pire. Du matin jus({u'au soir, sans cesse je soupire, Je pleure, je sanglote... (Ai (le le regarde surpris.) Oui, c'est bête, c'est fou. I.e hasard seul... enfin tu comprends... AUDE Pas du tout. C\DET AUDE CADET .l'aime... Hein? J'aime... AUDE Alî! ça, c'est drôle! CADET Je m'en rends compte AUDE Olil je ne voulais pas... CADET Tu peux, je n'ai pas honte D'ôtre un peu ridicule : en amour, l'imporlant C'est, avant tout, d'avoir du cœur... et j'en ai tanti AUDE (Vest vrai. CADET J'ai pu de loin seulement la connaître... Mais je la vois... depuis huit jours... à sa fenêtre! Par signes je lui parle... et je lui dis tout bas... Des mots tendres... AUDE Elle y répond? CADET Je ne sais pas... iO GADKT-UOUSSEL Je baisse les yeux... oui... je suis discret... J'espère.., Sans grand espoir... AUDE Ainsi... toiijoiHs on sCxagère Les obstacles... CADKT Je sais le peu d'atouls que j'ai : Allière et riclie autant que j'en ai pu juger, I^^lle est si loin de moi que j'en eus le verlige. AUDE Tu lui parlas? CADET J'eus peur de manquer de prestige; Ç.ar je suis sûr que pour lui plaire il me faudrait ('omme un je ne sais quoi qui m'avantagerait. Des bottes, une canne, une cravate, un titre. El je me sens si dépourvu sur ce chapitre! AUDE Tout cela s'achète. CADET Oui, mais je pleure en songeant Qu'on ne peut pas l'avoir quand on n'a pas d'argeni I (Vest l'argent qui me fait défaut, je me rends compte Que pouvoir lui parler face à face sans honte Avancerait beaucoup mes affaires, je sens Que je la convaincrais par mes discours pressants Si ma tenue était adéquate à mon âme, Si je pouvais aussi l'escorter de ma flamme Oui, la suivre en tous lieux, partout, jusqu'à Paris... Cela n'est pas possible, hélas! xVUDE Si, j'ai compris I Pardon de n'avoir pas compris plus tôt ; excuse Mon mauvais cœur : voici mon argent. CADET *Je refuse. ACTE PREMIER 41 AUDE Comment? \ CADKT 5 C'est mon devoir, Aude, de refuser, i <'ar A[arielte t'aime et tu dois l'épouser. j AUDE Puisque je ne peux pas. -t CADET ] Cest chose décidée. \ AUDE t Attends d'abord d'avoir deviné mon idée I j CADET • ^ Soit! : AUDE ■ Pour vivre vingt ans, il m'est clair à présent ; Ou'avoir dix mille francs, ce n'est pas suffisant. Mais est-ce une raison pour se laisser abattre? ; Dix mille francs, c'est deux de plus que deux fois quatre! \ ("est quelque chose : il ne faut pas se résigner ^ Sans rien tenter. : CADET l Ainsi, tu veux... l AUDE j Pour regagner i Tout ce qu'on me vola. ': CADET ] Bien. -j AUDE ] Même davantage, : Qui m'empêche de faire un peu d'agiotage? 11 suffît au début qu'on soit prudent, qu'on soit * Adroit, et qu'on possède un peu d'argent à soi. ■ CADET ! Oui, oui.. 42 GADET-UOIJSSEL AUDE Si j'essayais de ris((iier, je suppose, Mes dix mille Irancs, ce n'est rien. CADET C'c^t ([uelcpie chose. AUDE Je pourrais rallraper lout mon argent perdu, Cent mille francs, oui, cent mille : qu'en penses-tu? CADET Qu'on peut lout perdre aussi quand la chance est cruelle. AUDE, tirant de sa pocho un petit volume. Lis VOiiéralion des changes de Ruelle Pour jouer à coup sûr et ne perdre jamais. CADET Tu le crois? AUDE Hasarder cinq cents louis, qu'est-ce? CADET II faut savoir encor comment on les hasarde. Et je ne t'en crois pas capable, prends-y garde ! AUDE Aussi n'est-ce pas moi qui joûrai. J'ai pensé Que le plus sûr moyen pour moi, le plus sensé C'est d'avoir à Paris, choisi par moi d'avance, Agiotant pour moi, quelqu'un de confiance. Travailleur, politique, honnête, intelligent, A qui je dise : tiens, centuple mon argent. CADET Et ce quelqu'un? AUDE C'est toi. Mais Mais... ACTE PRKMIEU 43 cadp:t Moi? Moi! AUDE Je Ten conjure. CADET AUDE Acccplc, Cadcl, il le faut, je t'assure. CADET Pourtant. AUDE Moi seul, je sais ce que ton ame vaut. Et les trésors cachés au fond de ton cerveau ! (Vest le moment de les montrer et d'être un homme CADE r Sans doute, mais partir, emporler cette somme... AUDE Songe à celle. Cadet, que tu rapporteras. CADET Si je la perds, nous voilà tous dans de beaux draps. AUDE Plus beaux que ceux où nous a mis ma maladresse! Ecoute-moi, c'est à ton cœur que je m'adresse : (Tombant à genoux.) C'est ton devoir, faut-il t'en prier à genoux, C'est ton devoir, Cadet : sauve-nous ! sauve-nous ! CADET, le relevant. J'essaîrai. AUDE C'est promis? CADET Pa< (Miror. c'os! (ropgravo, Jhésilc... ',^ CADET-ROl'SSEL AUDE Hésiter, toi, Cadet, allons, sois brave. CADET Oui, j'hésite à courir deux lièvres à la fois. AUDE Deux lièvres ! CADET Tu sais bien. AUDE Pauvre Cadet ! Ou ça? Là-haut. CADET AUDE CADET, avec un soupir. AUDE Eh bien? Ah ! vois r CADET Là-haut, à la persienne Cette lampe qui luit dans l'ombre c'est la sienne ! (Lyrique.) Le soir étend sur nous son voile vaporeux. AUDE Quoi, poète I CADET Tu vois que je suis amoureux. Sais-tu ce qu elle fait? Sans cesse, je la guette : Elle se coiffe, elle s'attiffe, la coquette ! Tu vas la voir bientôt errer, toujours le soir, Sous les tilleuls, sois donc heureux, tu vas la voir. AUDE Ah ! quel bonheur I Alors, sous les tilleuls, elle erre Tous les soirs? Et Cadet, que fais-tu pour lui plaire? ACTE PREMIER CADET Moi, je vais me cacher, en titubant d'émoi. Je n'ai jamais connu de pleutre comme moi ! Rends-moi service. AUDE En quoi ? CADET Mets toi devant sa porte Présente-moi. AUDE Je ne la connais pas. CADET Qu'importe î Invoque un parent, des amis... fais tes excuses... AUDE (Test fou ! CADET Tu n'es pas un ami, si tu refuses. AUDE Je le ferai. CADET Tu le feras, lu le feras î (Pâlissant soudain.) Ahl mon amil... AUDE Eh bien, qu'as-lu? CADET Aude, mes bras En tombent, mes genoux fléchissent : je chancelle I La lampe s'est éteinte : elle descend, elle, elle I Sauvons-nous... AUDE Non ! CADE Si! 46 CADET-ROUSSEL AUDE Chut! (La potito porte do riIùtcUorie s'ouvre. — Dclvaporine parait : elle est enveloppée dans un grand manteau de voyage.) SCÈNE XI Us Mêmes, DELVAPORINE \ AUDE, lui 1 arrant le passage. Citoyenne... DELVAPORINE, effrayée. Ah! mon Dieu! AUDE, galant. Souffrez... CADET, l'imitant. Oui... DELVAPORLNE, clierchant à l'esquiver. Laissez moi. AUDE Eh, demeurez un peu. C'est un parent... (Cherchant ses mots.) par un ami... DELVAPORINE Non. AUDE Sur mon âme! DELVAPORINE, pour leur faire peur. Au secours! CADET, tremblant. — Il veut entraîner Aude. C'est bien, nous vous laissons. AC :TE IMIEMIEU 47 AUDE, résistant à Cadet Non. (à Delvaporine.) Madame, Ecou lez -nous. •• DELVAPORINE Jamais CADET Fuyons! AUDE Chut! DELVAPORLNE, se dirigeant vers la por e de riiôtellerio. Laissez-moi Rent rer Bien sûr CADET AUDE Tais-loi. - CADET Si. AUDE Calmez voire émoi ! Un limide galant, par avance en déroute. Mérite qu'on le plaigne et non qu'on le redoute. DELVAPORINE Un galant ! AUDE Vous pouvez Técouler sans danger. DELVAPORINE Mais c'est... AUDE Vous savez bien, le petit horloger A qui vous souriez parfois à la fenêtre El qui s'évanouit quand il vous voit paraître. 48 CADET-HOUSSEL DELVAPORINE C'est lui? AUDE Lui-môme... DELVAPORINE, sarrêlant. Soit, j'écoute. AUDE, lias à Cadet. A toi. CADET, galant. Voici : (Troublé,) C'est... je... DELVAPORINE Quoi? AUDE, bas à Cadet. Tu te tais, toi, tout à l'heure si Bavard? CADET, bas à Aude. Je ne peux plus. DELVAPORINE, s'impatientant. Alors? AUDE, bas à Cadet. Lève la tête. CADET, bas à Aude. Mais que dire? AUDE, bas à Cadet. Dis n'importe quoi. CADET, à Delvaporice, avec conviction. Je suis bête. AUDE, à Delvaporine, pour l'excuser. Il perd l'esprit! DELVAPORINE, souriant. Il le perd plus que de raison. ACTE PllEMIER 40 AUDE, prenant la place de Cadet. Il est trahi, le pauvre! CADET, acquiesçant. Hélas! AUDE La trahison Est le fait de quelqu'un, Madame, qui le touche De très près, de quelqu'un qui parle par sa- bouche Quand il parle; qui fait que son esprrt brillant S'est volatilisé, Madame, en vous voyant; De quelqu'un de plus fort que lui, qui le terrasse; De quelqu'un qui le rend, devant la seule trace D'un de vos pas, tremblant comme une frondaison... CADET, suivant l'élan donné par Aude, sans comprendre. Il dit vrai : c'est cela, c'est une trahison! DELVAPORINE, montrant Aude. Lui me l'a déjà dit. (Elle fait mine de s'en aller.) cadp:t Restez encor, de grâce. Je vais parler. DELVAPORINE Eh bien, parlez donc! CADET, bas à Aude. Prends ma place. AUDE, bas à Cadet. Non... NonI CADET. niAmo jou. Soit! AUDE, inèniejcu. Du courage. ,0 CADET- Il ou s SEL CADI*yr, cherchant à prendre de rassiirancc. Oui! hiinû! Voici... (se troublant,) pardon. .]c, l'ai tlrjà dit. I^ELVAPORINE Oui. CADKT C'est que... AUDI': Courage don cl CADET, très convaincu et très passionni-. .l'hésitais, je n'osais : maintenant j'ose! oui, j'ose! Et simplement je veux vous avouer la chose.., Pourquoi perdre son temps en discours superflus? Naguère j'hésitais, mais je n'hésite plus ! .le trouve ridicule... enfantin... qu'on hésite! -Mieux vaut parler, mieux vaut s'expliquer tout de suite: C'est un plaisir bien plus encore qu'un péril!... Se peut-il qu'on ait peur d'être franc?... Se peut-il Qu'on soit assez niais pour taire ce qu'on pense?... Mais la franchise en soit trouve sa récompense... Rien ne rend éloquent comme la vérité!... Que l'audace vaut mieux que la timidité !... Pour dire ce qu'il faut comme elle est nécessaire!... Puis songez... quelle joie : avoir été sincère!... Oui, sans que rien ait pu vous l'avoir interdit, Avoir dit ce qu'on voulait dire... Je l'ai dit. DELVAPORINE, éclatant de rire. Vous vous moquez ! CADET Moi? AUDE Lui? ACTE P REMI LU ol DKLVAPORLNK Mais vous m'avez fait rire. Je vous pardonne... (Pivotant sur ses tolons.) Et je m'en vais. CADET, la retenant. Sans rien me dire'^ DELVAPORLNE ^l;lin!('n^^^^, c'en est trop! CADET, mémo jeu. Moi qui pris un tel soin l)e ne pas vous blesser, aurais-je été trop loin? Si mon discours, peut-être, a manqué de mesure, Pardonnez, je n'ai pas voulu, je vous assure! DELVAPORIXE Je ne puis m'en aller encor ?... CADET Non ! DELVAPOKINE Brisons là. \'ous fûtes indiscrets assez comme cela. CADET.*' Moi? AUDE Moi? DELVAPORINE Je ne sais pas seulement qui vous êtes. CADET, avec orgueil. Cadet-Roussel. AtDE Et moi, Aude : tous deux poètes. Lui, par amour pour vous, moi, par métier. Îi2 CADET-ROUSSEL DELVAPOUINE, dévisogoant Cadet. Osl vrai... Roussel? (Un temps.) Mais le Roussel que je connais serait Donc voire frère? CADET Oui, vous le connaissez? DELVAPORINE A peine. (Un temps : puis avec un sourire.) C'est plaisant! (Un temps.) Ainsi vous m'aimez? CADET, avec passion. J'ai Fâme pleine De rêves, de désirs qui ne vont que vers vous. AUDE, même jeu. 11 ne ment pas! DELVAPORINE Vous êtes fous! CADET Nous sommes fous ! Moi je suis fou depuis Theure oi^i vous m'apparûtes ! Ouand je vous vois, les jours me semblent des minutes, Mais il suffit, hélas! que vous vous absentiez Pour qu'ils me soient plus longs que des siècles entiers. AUDE Vos regards ont sur lui des puissances célestes. CADET .Je ne vis qu'à guetter les ombres de vos gestes. AUDE Souriez lui là-haut : le monde lui sourit. ACTE PUEMIEU r.3 CADET Ne me regardez plus : je crois perdre l'espril. AUDE l']n un mot, son amour n'est rien moins que futile. CADET Aiine/.-.noi ! AUDE Aimez-le. DELVAPORINE Que de peine inutile J.' { ars ce soir. CADET Où que vous alliez je vous suis. AUDE Il \ o::s siiil. CADET Comprenez l'amoureux que je suis. DELVAPORINE .Alaisje... CADET Je vous suivrai jusqu'au bout de la terre. AUDE Pour vous, il descendra dans le fond d'un cratère. CADET .K^ monterai jusqu'aux étoiles, s'il le faut. AUDE Mï'QÏ. le plus jjas qu'on peut aller et le plus haut. DELVAPORINE ('. csl plus loin qu'à Paris, mais c'est moins difficile. CADET ,Jc suis audacieux... 6 l\t CADEÏ-UOUSSEL AUDK lnlcllii,^cnl... CADET Habile. DELVAPOIUNK Oifoii soil habile, audacieux, intelligent Gela n'y sert de rien quand on n'a pas d'argent ! AUDI'", a\ec enthousiasme. 11 en a! CADET, hdsilanl à accepter. Mais... AUDE, violemment. Beaucoup 1 DEI.VAl ORINE, souriant. Alors, c'est autre chose. AUDE Il en aura sous peu plus encor, je suppose 1 DELVAPORINE l^artez donc à Paris : ne perdez pas de temps. CADET, tout (^mu. Vous me permettez? DELVAPORINE Oui. AUDE, dans un élan de reconnaissance. Nous sommes bien contents! CADET Bien contents! DELVAPORINE, à Aude. Vous aussi? AUDE Ma joie est légitime. Cadet, songez, est mon ami le plus intime-. ACTE PREiMIER o.*) CADET (Vost vrai. AUDE Je ne sais pas ce que j'aurais donné Pour cjue la chance avant dût afissi bien tourner : Ses l)onlieurs, ses cliagrins, toujours je les partage ; Il est heureux : laissez-moi l'être davantage! CADET, prenant la main de De'.vaporine avec amour. Je suis heureux! si vous savie'z... DELVAPORINE, Técarlant doucement. Non, à Paris. (Elle dit tout ce qui suit moitié riant, moitié sérieux, donnant aux moindres mots, par ses mines, un sens plus tendre, que celui qu'ils ont en réalité.) (, SCÈNE XVII Les Mêmes, pins, en coulisse : Premier Postillon, Deuxième Postillon, Une Commère, Un Voyageur, LHôtelier, Voyageurs divers, puis LA MERE ROUSSEL, puis LE PÈRE ROUSSEL. PREMIER postillon Place ! place ! C^DET, sortant de la boutique en courant. On est en relard ? DEUXIÈME postillon Pas en avance ! LA MAILLARD Dépéchez-vou«;. CADET J'allais manquer la diligence ! (Il remet la lanterne qu'il porto à Aude et sort par la ruelle de droite.) premier POSTILLON Tiens les chevaux ! UNE COMMÈRE On m'écrase î oh ! deuxième postillon Margolte I Ilôla 1 CADF^T, réapparaissant en haut des marches. I^l nies paquets ! AUDE, lui on passant deu.x. Tiens ! CADET Le troisième ? LA MAILLARD, le lui passant. Le voilà ! (Cadet sort de nouveau, par la droite.) 1 66 CADET-ROUSSEL UN VOYAGEUR Quand part-on ? CADET, en coulisse. Voici mes paquets. LA MAILLARD Prenez-y garde. DEUXIÈME POSTILLON Oui! CADET Vous n'avez plus de place ? PflEMIER POSTILLON Eh si ! MARIETTE, lui montrant une place. Là, regarde. CADET, revenant en scène. Mon chapeau ? MARIETTE Tu vas l'avoir. (Elle court à la boutique.) L'HOTELIER Mille millions De tonnerres!... Et vos lanternes, postillons? PREMIER POSTILLON Voilà ! voilà I DEUXIÈME POSTILLON Place ! (On entend un roulement de voiture sur le pavé.) AUDE Oh ! qui donc part en berline ? CADET, avec une grande émotion. Elle. Je l'ai vue ! Oui, dans de la mousseline !... Ah I quel bonheur ! Que je l'aime ! ACTE PREMIER 67 VOIX DIVERSES On est en retard ! MARIETTE, rapportant son chapeau à Cadet. Tiens, voici ton chapeau. CADET Merci. (Cadet pour la dernière fois disparaît à droite, dans la diligence.) On deviu( PREMIER POSTILLON Place ! HepI UN VOYAGEUR " AUDE Cadet ? CADET, de la diligence. Quoi ? VOYAGEURS DIVERS Bien î bien ! On part ? AUDE, brandissant un abnanach. J'oubliais. J'ai mille excuses A te faire. Elle y est, dans l'Almanach des Muses, Ma chanson à Cadet-Roussel. Tu sais, sur l'air De Jean de Nivelle. CADET Oui. Donne. AUDE Y verras-tu clair? CADET Mais oui ! Chantons ! Je suis heureux. VOIX DIVERSES Oui ! oui ! G8 CADET-HOUSSEL (:adp:t (CltmiUnt. CadfA liouss l a Irais maisons^ Lune est sans poutrs, Caulr sans cherrons... l'HKMIKR l'osrrij.ox Allons, Margolle ! CADET, mémo jeu. La Iro'isiihn na qur d-s ^ urellcs^ VOIX diversp:s Adieu !... Bravo ! Cadet, m "me jeu. Oui., mais c'est 'pour les hirondelles. VOIX DIVERSES En roule 1 En loule ! CADET Ah! ah ! ah ! Mais vraiment^ Cadet Roussel est bon enfant! En chœur ! TOUS Ah! ah ! ah ! Mais vraiment^ Cadet Roussel est bon enfant! CADET à Aude. A loi, chanle. (Il lui lanc» l'almanacli.) VOIX DIVERSES. Oui. DEUXIÈME POSTILLON Place I CADET On reprend en chœur. ACTE iMlEMlEH 69 AUDE, chantant. Cfidet Roussel a trois amis... LA MÈRE ROUSSEL, ]iniMlv^;.ni .-i sn f(Miêtre une lanU-rne allumée à la main. (lomment, lu pars ' CADET, riant. Maman î AUDK. clinntant. Deux à Auxcri\.. LA MÈRE ROUSSEL Misérable ! sans cœur ! CADET, c'banla:it et riant. ... l'autre à Parus \.o père Roussel paraît au fond de la scène; il arrive i)ar la ruelle du • 'ôlé , à Cadet, en guiso d'adieu. Embrasse bien ton frère. AUDE, chantant. Le troisièm cest le moi'is fidèle CADET Oui, maman. (La diligence démare.) Qu'on reprenne en chœur! 1. 70 CADET-ROUSSEL LES POSTILLONS Huî'Hu! Bidet! CADET, chantant. Oui^ mais c'est une demoiselle! Ah ! ah ! ah! îuais vraiment... (Parlé avec dos larmes dans la voix.) Adieu, Aude !... (Chantant.) Cadet Roussel... (Parlé.) Adieu, Mariette !... (Chantant.) ... est bail enfant ! AUDE et MARIETTE, balançant leur lanterne pendant que la diligence s'éloigne. Adieu, Cadet 1 TOUS, chantant en chœur. Ah ! ah ! ah ! mais vraiment, Cadet Roussel est bon enfant ! ACTE DEUXIÈME ... La troisièm' n'a que des tourelles Oui 7nais c'est pour les hirondelles,.. (Ghanson populaire de Cadet-RousseU) ACTE DEUXIEME LE CABINET DE TRAVAIL DE ROUSSEL-AINE l\(»u^^el-Aino esl iiu de ces liuaiiciei„s du DirecLoire, à l^iUiue ;;i|>icle. à ruine plus rapide encore, qui habitaient avec ostentation les grands hôtels du Faubourg, vendus à des prix infimes ai)rès la Révolution. Son cabinet de travail est donc installé dans un salon de récep- tion de l'un de ces anciens hôtels : plafond très élevé, décoration somptueuse, meubles monumeutaux : le tout trop riche, trop nom- !»reux, trop doré : on y sentie mauvais goût d'un parvenu. Au fond, à gauche grande porte à deux battants, donnant de plein-|>ied sur un jardin. A droite, second plan, porte liàtardc donnant dans les bureaux : on scène, grand bureau Louis XV, encombré de papiers, dos- siers, etc. Au premier plan, porte donnant dans les appartements. A gauche, au j^remier plan, baie ouverte sur un petit salon : devant cette baie chaise longue, posée de biais et flanquée d'un guéridon, à côté du guéridon, un tabouret : au milieu de la scène, canapé faisant face au bureau; et, contre le dossier du canapé, l>etile table : à gauche de la table, une bergère. SCENE PREMIERE Prrmier C'oMMis, Deuxième Commis Au lever du rideau, le deuxième commis est assis devant une petite table attenant au bureau, il écrit. Le premier commis entre par la porte du j.irdin. PREMIER COMMIS Qu'a dit le patron? DEUXIÈME COMMIS ïl a dit qu'en fin de compte Trouver un déficit qui pour un mois se monte A deux cent mille francs, ce n'était rien. 74 CADET-ROUSSEL PREMIER COMMIS Rien? DEUXIÈME COMMIS Rien, A rcnlendre, du moins : mais moi je voyais bien Qu'il était plus troublé qu'il ne voulait le dire. PREMIER COMMIS La chance l'abandonne. DEUXIÈME COMMIS Oh ! tout à fait. PREMIER COMMIS Le pire C'est que demain, demain matin, jour de paîment Il faut trouver deux cent mille francs. DEUXIÈME COMMIS Oui. PREMIER COMMIS Comment? DEUXIÈME COMMIS Il veut les emprunter à Mathias. PREMIER COMMIS Le pauvre homme... DEUXIÈME COMMIS L'hôtel hypothéqué répondra de la somme. PREMIER COMMIS L'hôtel est trop hypothéqué. DEUXIÈME COMMIS Jamais assez. Ce sont ses ordres. PREMIER COMMIS Bon. (Entre la Maillard par la porte du fond.) ACTE DEUXIEME * 75 SCÈNE II Lks Mêmes, piu3 LA MAILLARD, puis un vaict. LA MAILLARD Citoyens, vous pensez Que je puis voir Roussel-Aîné. PREMIER COMMIS Je vous conseille D'attendre un autre jour : car c'est demain qu'il paye; Il est de très méchante humeur. LA MAILLARD Je comprends ça. DEUXIÈME COMMIS De plus, il vous en veut, je le sais. LA MAILLARD A moi sa Fidèle... PREMIER COMMIS Il a parlé de vous avec colère : ( .'était, je me rappelle à propos de son frère. LA MAILLARD A propos de Cadet? CADET, dans le jardin, derrière la porte du fond. La Maillard est ici ? LE VALET Oui. CADET, 'même jeu que plus haut. Tant mieux. PREMIER et DEUXIÈME COMMIS, remontant vers la porte des bureaux, en saluant La Maillard. Citoyenne. 76 CADET-ROUSSEL LA MAILLARD Au revoir... et merci. PREMIER COMMIS, on sortant au deuxième commis. Tu vas dire à Mathias... (Ils sortent. Entre Cadet, venant du^ jardin : costume d'incroyable, celui qu'il porte sur l'image d'Épinal : habit jaune à longues basques, grand chapeau en bataille, cravate à triple tour, bas blancs rayés- verts, cu- lotte rouge, gants ve^ts. Ombrelle rouge, ouverte : faee-à-mains : il lient trois petits chiens en laisse.) SCÈNE m LA MAILLARD, CADET. CADET, grasseyant selon la modo mise en honneur par (ianal. Ah ! ma bonne z'a-ive De Pa-is... LA MAILLARD, le contrefaisant. De Pa-is? CADET Celui de l'aut-e-ive, Le seul I Que de plaisi-s, c'en est un v-ai bonheu- I Inc-oyable, v-aiment, ma pa-ole d'honneu- ! Mon ca- icka ve-sé dans les C-amps-Elysées I Z'ai dézeuné chez-oze, aux t-uffes si p-isées I Puis, c-è-e, pou- fini-, ze fus à Tivoli ! Voi- lancé- un ballon : Dieu que c'était zoli I LA MAILLARD. Vous grasseyez encor, cela n'est plus de mode I CADET, reprenant un ton naturel. Soit parlons simplement, c'est beaucoup plus commode. (Il donne ses petits chiens au valet qui les emmène : il ferme son ombrelle.) LA MAILLARD D'ailleurs votre façon de vivre sans souci, Le ton que vous prenez, les habits que voici, ACTE DEUXIÈME A'otre lorgnon, votre cravate, votre ombrelle, \7)lrp sotte élégance... CADET Elle m'est naturelle. LA MAILLARD ('elle rage que l'on vous remarque... CA DET J'y tiens. LA MAL'.LARD Surtout. Cadet, vos trois grotesques petits chiens... CADET Trois I Toujours trois. LA MAILLARD Vos habitudes inexactes; L^nlin ce mauvais goût mis dans vos moindres actes, Entre nous deux, Cadet, tout ça ne me plaît poinl. Je dois veiller sur vous. CADET, prclentieux. Je n'en ai pas besoin LA MAILLARD, vexre, elle fait mine de parlir. Bonsoir Cadet I... CADET Restez! il faut que je vous dise... C'est cet air de Paris, voyez-vous qui me grise Je suis heureux de n'être plus un provincial Je trouve tout nouveau, charmant, original Dans ce Paris qui m'est une éternelle fête I Je m'y sens transporté, ravi, j'y perds la tête... J'y crois rêver, j'y vis la nuit, j'y dors le jour .. LA MAILLARD Tout cela sans raison, sans but. CADET Si, par amour! 8 78 GADET-IIOUSSEL LA MAILLARD Par amour! CADET Oui, jo veux me montrer digne d'elle, Etre élégant, blasé, moderne, le modèle Des amants d'aujourd'hui. De plus... LA MAILLARD Vous êtes fou ! CADKT Vivant ainsi comme elle, elle me voit partout!... Mais envers moi sa façon d'ôtre est énervante : Elle feint de ne pas me voir. LA MAILLARD Non ! CADET Si. J'invente Chaque jour un moyen nouveau plus merveilleux Pour qu'elle me remarque : on me voit en tous lieux; Je l'y croise; j'agite, en lui faisant des signes, Des chapeaux monstrueux et des cannes insignes, LA MAILLARD Une ombrelle rouge... CADET ( Oui : pour arrêter ses yeux; J'ai pensé que de loin le rouge se voit mieux I Je traîne des roquets : c'est une mode anglaise; J'achète des habits où je suis mal à l'aise; J'arbore les gilets les plus extravagants ; Je hurle verij well sur des chevaux fringants; On m'entendit devant une foule idolâtre Pousser des cris aigus au balcon d'un théâtre Malgré qu'on m'insultât et qu'on me bousculât Pensant qu'elle se retournait — elle était là... LA MAILLARD Tout cela pour passer inaperçu, vous dites? ACTE DEUXIEME 70 CADET Certe. LA MAILLARD Alors à quoi bon vos ruses inédites Puisque ce fut en vain que vous couriez ainsi... CADET Et qu'en demeurant coi j'eusse autant réussi. LA MAILLARD Vous perdez la raison I CADET J'aime. LA MAILLARD C'est votre excuse î 11 vous faut réussir. CADET Oui. LA MAILLARD Si je ne m'abuse Delvaporine sent quelque penchant pour vous. CADET Je me souviens, ce m'est un souvenir très doux, Qu'elle me fit tout espérer, le soir d'Auxerre. LA MAILLARD Eh bien, c'est ce soir-là seul qu'elle fut sincère. La preuve qu'à son cœur n'est pas indifl'érent Votre amour, c'est le soin que sans cesse elle prend De l'ignorer : partout près d'elle on vous rencontre; A peine elle paraît qu'aussitôt on vous montre; On vous signale : on vous reconnaît à cent pas : Elle seule pourtant ne vous reconnaît pas! Je vois clair dans son jeu. CADET Mon ôme en est ravie! hO CAUKI'-llOUSSEL LA MAILLARD. Roussel sera cornard. CADET, iruligii". Ça, jamais de la vie 1 (Avec uno émotion croissante.) D'abôi-d, elle n'e.st pas sa maîtresse... LA MAILLARD Pouilanl. CADEO (Vesl vous (|ui me l'avez dit, vous seule, en pai'ianl DAuxerre... ce n'est pas une chose notoire I LA MAILLARD Mais je sais... CADET Je ne suis pas forcé de vous croire I Vous pouvez vous tromper. LA MAILLARD Roussel... CADET Il n'en dit rien IJI(\ est elle venue ici? LA MAILLARD Mais je sais bien Ou'il va la voir. CADET Vous le dites ! LA MAILLARD Mais encore... CADET Taisez-vous par pitié; car tant que je l'ignore Je puis l'aimer : et si je vous croyais jamais Je ne le pourrais plus sans crime désormais ! LA MAILLARD \o:i\i êtes sot- ACTE i)Erxn<:ME 8l CADrrr Je suis à ma façon honnête LA MAILLARD llonnèle à ce poinl-là, (-aclet, c'est être bete. CADET Xinsistez pas, je suis déjà très malheureux. LA MAILLARD On ne peut rien tirer d un pareil amoureux. Entre Rousscl-Aîm'' par \a porte des bureaux : roslunie d'a^'iotenr : culotte bouffante en taffetas gris : longue redingote bleue : il mâ- chonne un cure-dents : il est fort en colère.) SCÈNE IV Les Mêmes, ROUSSEL-AINÉ roussel-ain é Ah ! j'en apprends sur toi ! I-A MAILLARD, bas à Cadet. Il sait tout! CADET, tout décontenancé. Je frissonne I LA MAILLARD, i)ajant d'audace. Ou'avez-vous donc appris? ROUSSEL-AINÉ Tout! par une personne Oui m'est très dévouée. CADET, tremblant. Ah! ROUSSEL-AINÉ, triomphant. Vous tremblez? 82 cadi:t-rousskl LA MAILLARD, inêine jeu que plus haut. Pourquoi? ROUSSEL-AINÉ C'est ainsi que tous deux vous vous moquiez de moi! CADET Hélas! LA MAILLARD Nous nous moquions ! CADET Moi seul, je suis coupable I ROUSSEL-AINÉ Et moi, c'est la Maillard que je rends responsable! LA MAILLARD Vous faites bien : je le conseillais en effet .. CADET Elle ne m'a jamais conseillé ça. LA MAILLARD Si fait. ROUSSEL-AINÉ Le duper, lui ravir une pareille somme Je ne vous dirai pas comment cela se nomme ! LA MAILLARE, surprise. Le duper! CADET, mémo jeu. Que dit-il? ROUSSEL-AINÉ Vous le savez. LA MAILLARD, se rebiffant. Pardon ! ROUSSEL-AINÉ Vous ne le savez pas? ACTE DEUXIEME 83 LA. MAILLARD De quoi parlez-vous donc? ROU^SEL-AlNÉ .Mais des cinq mille francs que vous eûtes l'audace De lui prendre, en disant les gérer à sa place ! CADET Je respire. LA MAILLARD C'est ça qui vous fâche à ce point? Mais, certe, je l'ai fait et ne m'en cache point. Cadet, partant avec dix mille francs, en route M'en otïrit la moitié de lui-même. ROUSSEL-AINÉ, narquois. Sans doute! LA MAILLARD En le faisant, il me sauvait sans le savoir Et je me suis juré de le lui revaloir. ROUSSEL-AINÉ Beaux serments, en effet : mieux vaut une quittance! Mais non : toi, tu ne tiens qu'à sa reconnaissance! Tu n'as pas de reçu? CADET Non. ROUSSEL-AINÉ Tu te garderais D'exiger n'est-ce pas même des intérêts? LA MAILLARD Il est sur d'avoir mieux. ROUSSEL-ALNÉ On n'est pas aussi bête! Pourras-tu donc jamais te mettre dans la tête Qu'il est sot de n'avoir que des bons mouvements, Et que l'argent vaut plus que tous les sentiments. 84 CADET-UOUSSEL LA MAILLARD DeiîKMiroz bon oiilanl cl moquez-vous du resle. ROUSSEL-AINÉ Ta bonlé, voilà ce qui t'est le plus funeste; Dans les autres métiers la bonté se conçoit; Mais en allaires, non... CADET Pourtant... ROUSSEL-AINÉ Chacun pour soi. Là le malheur de l'un fait le bonheur des autres. ( -eut francsperdus: mieux vautqu'ilsnesoientpaslesnùLres ! Dehors le quémandeur qui me raille en sorlant! Si nous changions de rôle, il m'en ferait autant! .Mon argent, c'est contre moi-même qu'il en use Ou bien, fier de sa propre audace et de sa ruse, (/est à lui qu'il sait gré du secours qu'il reçoit. Vu vois trop bien que j'ai raison : chacun pour soi I CADET Tous les hommes ne sont pas des ingrats. ROUSSEL-ALNÉ D'avance Toujours, juge-les tels : crains d'avoir confiance; Ils sont tes ennemis ! CADET Ils ne me font pas peur. ROUSSEL-AINÉ Plutôt qu'être dupé, préfère être dupeur I CADET Mais on est malhonnête. ROaSSEL-AINÉ On n'est pas ridicule. ACTi-: DKIXIKME hW C\DKT .lo ne poui'i'iii^ dvipor. ROUSSEL-AINÉ Tant pis 1 Quand on rcciil(' Devant oorlains petits mél'ails, ainsi rpie toi, ( )ii nai'i'ive jamais. cadkt Que veux-tu donc de moi ? ROUSSEL-AIN É .le voudrais, à ton tour, Cadet, le jouant d'elle m des autres, que tu me prisses pour modèle, Oue tu devinsses le parfait agioteur, Méfiant, insensible, audacieux, menteur. Oui peut rayer un monde avec un trait de plume Va forger un pays sur son or pour enclume; Oui peut, rendant service aux princes dépensiers Leur laire peur comme à de simples créanciers; Maître enfin de l'argent qui du monde est le maîhe, Oui, voilà ce qu'il faut que tu sois, tu peux l'être : Et (pion dise plutôt à te voir triomphant ('e voleur de Cadet, que Cadet bon enfant ! CADET Non, j"aime mieux rester bon enfant. ROUSSEL-AIN É A ton aise. Mais tu réfléchiras. LA MAILLARD II me rendrait mauvaise. DELVAPORINE, derrière la porte du fond s'adressant au valet. Non I ne m'annoncez pas. ROUSSEL-ATNÉ. ('lonn:'. Delvaporine, ici ? CADET, i)àlissanl, l)<'lvaporine 86 CADET-ROUSSEL LA MAILLARD Eh bien, vous allez voir si J'avais raison, et si c'est sa maîtresse. (Entre Delvaporhie : costume do Merveilleuse, robe de linon transparente grand chapeau dit « cabriolet », châle passant derrière la taille et repassant sur les avant-bras, cothurnes, elle tient à la main un ridicule, dos violettes et une petite ombrelle.) SCÈNE V Les Mêmes, plus DELVAPORINE ROUSSEL-AINÉ Ah ! chère... DELVAPORINE Je voulais vous parler seule à seul d'une affaire. ROUSSEL-AINÉ C'est grave?... LA MAILLARD, avec une révérence. Citoyenne... DELVAPORINE, apercevant La MaiUard et Cadet. Eh ! bonjour, La Maillard ! Tiens ! Cadet, vous ! CADET, balbutiant. C'est moi. LA MAILLARD, rudoyant Cadet tout bas. Voyez le beau gaillard Qui tremble pour si peu. ROUSSEL-AINÉ, à Delvaporine. Vous connaissez mon frère ! DELVAPORINE Oui, je l'ai rencontré sur la place d'Auxerre. CADET, très gêné C'est un hasard... (Un temjis.) ACTE DEUXIÈME 87 DELYAPORINE Ainsi, vous eles le cadet... CADET De mon frère aîné, oui... DELYAPORINE, très coquette. Sachez qu'il me tardait De vous connaître mieux : votre esprit qu'on devine Jusqu'en votre silence et votre bonne mine Excusent trop ma hâte à Tavouer ainsi Pour que j'y mette plus de pudeur. CADET , passionnL>ment. Ah merci ! » ROUSSEL-AINÉ, se méprenant sur les sentiments de Cadet. Excusez son émoi naturel. LA MAILLARD, bas à Cadet. Du courage! ROUSSEL-AINÉ Son air gauche... niais... de provincial... CADET, bas à La Maillard. Oh, rage ! ROUSSEL-AINÉ Il n'est pas bête, il est très jeune... DELYAPORINE, d'un ton net. 11 est charmant. LA MAILLARD, bas à Cadet. Comme elle Fa bien dit. Exprimer... CADET, bouleversé. Ah ! je ne sais comment 88 CADET-HOUSSEI. DELVAPORINE Je comprends à demis-mots. (Avec un sourire leiKlrc; Du reste Vous me plaisez... (A Roussel-aîii('', on riant.) Cadet me plaît. ROUSSEL-AINÉ, même jeu. Bon. G.\DET, sans comprendre. Je proies te. ROU.SSEL-AINÉ, d'un ton impératif. Il suffi l. (A Delvaporino.) Vous vouliez me dire un petit mot ? DELVAPORINE Oui, je... (A Cadet.) Vous m'excusez? C.4DET, tendrement. Oui, Madame. fil remonte vers la porte du jardin avec la Maillard. — Ceiienii; nt Dci- vaporine descend en scène vers la gauche, du côte de la chaise lonj.'U' .) DELVAPORINE A bientôt. CADET, bas à la Maillard. Elle m'aime, c'est sûr, et je trompe mon frère. LA MAILLARD, même jeu. Mais... G.\DET, avec désespoir. Il est son amant. LA MAILLARD Vous disiez le contraire. ACTE DEUXIEME 80 CADET Je ne le pensais pas DKLVAPORINE, à Roussel aîné. Je suis lasse, mon cher. ROUSSEL-AL\É Asseyez-\xus. LA MAILLARD, bas à Cadet. Voyons. CADET, même jeu. Je vous mentais, c'est clair. LA MAILLARD Mais non. CADET Jallais jusqu'à me menlir à moi-même, Je n'en ai plus le droit maintenant qu'elle m'aime. LA MAILLARD Oue ferez-vous? CADET Vous le verrez. Ils sortent tous Jeux par la porto du jardin. Roussel-aîné remonte jus- qu'à cette porto pour voir s'ils sont partis; puis il redescend auprès de Delvaporine.) SCÈNE YI ROUSSEL-AINÉ, DELVAPORINE ROUSSEL-AINÉ Voyons, pourquoi Venez-vous aujourd'hui me voir ici, chez moi, Vous qui ne vouliez pas que je vous le demande? DELVAPORINE, très sérieuse. C'est qu'aujourd'hui, mon cher, une peine très grande Nous menace, et que le salut dépend de vous. ROUSSEL-AINÉ Est-ce vrai? 90 CADET-ROUSSEL DELVAPORINE, mélancolique. Vous savez si votre amour m'est doux. IlOUSSEL-ALNÉ Je le sais. delva'porine En vous, tout me plaît. Voti^ nature Ardente, ambitieuse, éprise d'aventure, Votre génie actif, subtil, intransigeant Votre sang-froid haulain dans les luttes d'argent, Votre amour des grandeurs, vos projets fantastiques, Tout me plaît... jusqu'à vos sentiments politiques. (Un temps. Puis avec mélancolie.) Et si le sort avait aussi peu de rigueur Pour le reste que pour mes affaires de coeur Je serais -bien heureuse... ROUSSEL-AINÉ Ah!.. Qu'est-ce? DELVAPORINE Non..., j'hésite. ROUSSEL Dites-moi... DELVAPORINE C'était là le but de ma visite... Mais ce m'est trop cruel de vous en faire part. (Elle soupire.) Ah! plutôt me résoudre, à mon prochain départ. ROUSSEL-AINÉ, avec intérêt. Pourquoi partir? DELVAPORINE Mieux vaut que j'en taise la cause. ROUSSEL-AINÉ, insistant. Je veux savoir. DELVAPORINE Non... Non!... parlez-moi d'autre chose. ACTE DEUXIEME 91 ROUSSEL-AINÉ \'oyons... DELVAPORINE Je vous en prie... ROUSSEL-AINÉ Ah! je comprends enfin. DELVAPORINE, toute souriante. Est-ce vrai? ROUSSEL-AINE Je comprends... DELVAPORINE, jouant l'admiration. Gomme vous êtes fin ! ROUSSEL-AINÉ, modèle. Oui. DELVAPORINE Mais n'en parlez pas. ROUSSEL-AINÉ, léger. Je suis un galant homme. DELVAPORINE Comme je vous rends grâce... ROUSSEL-AINÉ, lourdaud. Est-ce une grosse somme? DELVAPORINE Grosse. ROUSSEL-AINÉ, ennuyé. Ge sera dur. DELVAPORINE Mais oui : Je ferais mieux De m'en aller et de vous l'aire mes adieux. (Elle fait mine de s'en aller.) oî cai)1>:t-hol'Ssel ROUSSKL-AINÉ, la relenant. Non, restez! (l'n temps.) (yosl combien? DKLVArORINE, on rougissant. Cent mille francs de délies, KOUSSEI.-AINK. (loosp 'ré. Je ne peux pas. DELVAPORINE, vivement. C'est donc vrai? ROUSSEL-AINÉ, inquiet, Quoi? DELVAPORINE Mais que vous êtes Ruiné? ROUSSEL-ATNÉ, effrayô. ^loi? C'est faux! DELVAPORINE, avec une pitié feinte. Quelle fatalité ! Je vous offre en tout cas mon hospitalité. ROUSSEL-AIN K, très agité. Attendez un peu : bien que la somme sois forte Il peut se faire encor que je vous la rapporte. DELVAPORINE, sur un Ion net dhomme d'affaires. Rendez-moi donc réponse à cinq heures chez moi. ROUSSEL-AINÉ C'est dit. DELVAPORINE, redevenant plus femme et plus coquette que jamais Que tout cela m'a donné de l'émoi! Je rentre. ROUSSEL-AINE, désirant l'accompagner. Voulez-vous... ACTE DEUXIÈME 93 DELVAPORINE Non, ce n'est pas la peine .le ne peux plus parler... j'ai pris une migraine... Adieu I Mon cœur au vôtre est par trop attaché, ROUSSEL-AINÉ Adieu. DELVAPORINE, du haut des marches. Je vous envoie un baiser... panaché! (Elle lui envoie un haiser : et sort par la porte du jardin, en défendant d'un geste à Roussel-aîné de l'accompagner.) SCÈNE VII ROUSSEL-AINÉ soui, puis Premier Commis ROUSSEL-AINÉ, il s'assied devant la table, réfléchit; puis soudain : Je laurai cet argent! (Il sonne : entre le premier commis.) Mathias?... PREMIER COMMIS Il n'est pas tendre Aujourd'hui. ROUSSEL-AINÉ Le coquin ! PREMIER COMMIS Il ne veut rien entendre ROUSSEL-AINÉ Pour deux cents mille francs! PREMIER COMMIS Il offre la moitié. ROUSSEL-AINÉ Je veux tout : ou sinon je serai sans pitié; Dites-lui qu'aux Cinq-Cents, demain, Ton interpelle Sur certains vols nationaux... qu'il se rappelle 9. 94 CADET-UOUSSEL Qu'étant documenté, je puis être bavard : Et nous aurons l'argent dans une heure, au plus tardi PREMIER COMMIS Bien. (Il sort par la porte des l)urcaux ; entre Cadet par la porto de gaucho : il a l'air très ému.) SCENE VIII ROUSSEL-AINÉ, CADET CADET Elle est ta maîtresse? ROUSSEL-AINÉ Oui, pourquoi? CADET, d'un ton dramatique. Je m'explique : Il me faut pour le faire un courage héroïque. ROUSSEL-AINÉ, narquois. Ah! ah! CADET, très agité. J'ai quelque chose à t'avouer... ROUSSEL-AINÉ Quoi donc CADET, tombant à genoux. D'abord, frère, pardon! ROUSSEL-AINÉ Mais encore... CADET Pardon ! Je ne peux vivre avec le remords qui me ronge : Je ne suis que traîtrise, infamie et mensonge ! ROUSSE-LAINÉ, ironique. Ça c'est beaucoup... ACTE DEUXIEME CADET Pour le tromper, j'ai profilé Du lemps où j'acceplais Ion iiospilalilé. F^ardon I ROUSSEL, iiilrigaé. Tu m'as Irompé? CADET, tragiquement. J'aime Delvaporine. ROUSSEL-AÎNÉ, riant. El c'est tout? CADET Oui. ROUSSEL-AINÉ El c'est cela qui te chagrine. CADET Jv' ne saurai jamais m'en repentir assez. ROUSSEL-AINÉ, le relevant. Tu relombes dabs tes égarements passés Tu fis très bien de l'enflammer ainsi pour elle; Je te comprends : la chose est par trop naturelle Et tu prouvais par là ton goût et ton esprit. Ton seul tort à mes yeux c'est de me l'avoir dit l CADET, stupéfait. Selon loi, j'aurais dû... ROUSSEL-AIXÉ Mais, tenter la fortune, Vouloir me supplanter, suivre la loi commune l Moi, je Tai fait! Delvaporine eut un amant Que j'ai Irompé. CADET Trompé ! ROUSSEL- aîné Mais naturellement; Et c'était même mon ami le plus intime. • OG CADET-liOUSSEL CADET I*^]l lu lui fis cela sans scrupules? ROUSSEL-AINÉ J'eslime Oue puis({ue j'aimais sa maîtresse, j'eusse eu tort De cesser de l'aimer, par crainte d'un remord. Je sus donc en clins d'yeux lui murmurer des choses, Dans les coins lui serrer les mains, prendre des poses Sans que lui s'en doutât, j'apportais des cadeaux; Je télégraphiais des signes dans son dos; l^rel', je fis, ce que l'on doit faire quand on aime; (le qu'il aurait fallu que tu fisses toi-même... En commerce, en amour, faut -il le répéter Qu'on ne réussit pas avec l'honnêteté. CADET, avec un étonnement croissant. Alors la passion folle qui me dévore Tu m'aurais laissé la lui dire. ROUSSEL-AINÉ, très sûr de lui. Elle m'adore. Je pieux donc librement te donner ces conseils ! Mais... tu rencontreras peu de rivaux pareils : Vois-tu, quand on est sûr de l'amour d'une femme On parle d'elle en toute indépendance d'âme. J'ai peur pour toi que tu t'attires son courroux. Elle est aimante plus que je ne suis jaloux : C'est du culte, de la démence, du délire... CADET, d'un ton dramatique. Tu fais erreur! c'est moi qu'elle aime. ROUSSEL-AÎNÉ, riant. Tu veux rire I CADET, même jpu que plus haut. Aujourd'hui seulement je m'en suis aperçu. ROUSSEL-AINÉ, ironique. (Test surprenant. ACTE DEUXIEME 97 ('ADET, même jeu qi;e plus haut. Elle m'ainiail à mon insu. ROUSSKL-AINÉ -Non, mais regarde toi : ta tête, ton allure... CxVDET, ingénument. -Mais tous les goûts ne sont-ils pas dans la nature? ROUSSEL-AINE, hau^saut les épaules. ("/est ini|)(jssiblc, invraisemblable ! CADET, avec conviclion. (Vest certain. Tu t'expliques pourquoi mon remords clandestin .ladis, devmt, dès lors, pressant, autoritaire! L'aimant, c'était mon droit, mon devoir de me taire I .le me sacrifia-is à toi! Mais dès que j'ai beviné mon amour par elle partagé, .Ini comj)ris quil fallait l'avouer à voix haute, Oue cet aveu serait le rachat de ma faute Kt que pour pouvoir fuir ensuite, inconsolé -Mais honnête, il fallait parler : et j ai parlé! ROUSSEL-AlNÉ, s'effonjant de le prendre au sérieux. Soit! J'admets cette grandeur d'âme qui t'honore; Mais je t'en veux montrer plus de grandeur encore! Amoureux de Delvaporine, tu prétends Qu'elle est sensible?... CADET, avec un soupir. Oh! oui... ROUSSEL-AINÉ Donc, ne perds plus de temps ! Fais lui ta cour. Cadet; convaincs-moi qu'elle t'aime; Ht comme j'y tiens moins que tu n'y tiens toi-même Devant l'amour où vos deux cœurs seront enclins .le me retirerai, Cadet; mais je te plains. 08 CADET-ROUSSEL CADET, dans un élan de reconnaissance. Que de bonté, mon frère! Adieu mes heures tristes, Mes nuits sans fin : c'est le bonheur! ROUSSEL-AINÉ, avec stupéfaction. Quoi, tu persistes? CADET, avec enthousiasme. Pourquoi pas lorsqu'enfin Taube naît, le jour poind... ROUSSEL-AINÉ Je te croyais naïf, mais non, pas à ce point! (Entre le valet par la porte du tond.) LE VALET La Maillard!... CADET Oui, qu'elle entre : (A Roussel-aîné.) Il faut que je la voie. (Le valet sort ) ROUSSEL-AINE, se dirigeant vers la porte des bureaux. Je te laisse. CADET A tantôt. (Le retenant.) Tu m'as fait une joie... ROUSSEL-ALNÉ, eounant. C'est bien... CADET, avec reconnaissance. A mon bonheur nul autre n'est égal. Merci de tout mon cœur... ROUSSEL-AINÉ, en riant. Au revoir... mon rival! (Il sort par la porte des bureaux. Entre La Maillard par celle du jardin.) ACTE DEUXIEME 99 SCÈNE IX CADET, LA MAILLARD LA MAILLARD, vivement. Jai travaillé pour vous. CADET, sans l'entendre. Elle, vous Tavez vue? LA MAILLARD, avec joie. Oui. Mais, d'abord, sachez qu'une affaire imprévue Superbe, s'offre à vous! Affaire de souliers... CADET Mais elle?... LA MAILLARD Justement, écoutez : vous vouliez Etre riche? CADET, distrait. Oui. L^ MAILLARD Vous allez l'être tout de suite, .le l'ai fait dire à Delvaporine au plus vite. CADET, ennuyé. Tant pis ! LA MAILLARD Non ! Il fallait parmi ses soupirants Que vous prissiez du poids... CADET, sans comprendre. Du poids? LA MAILLARD, souriant. Je me comprends... A cinq heures, pour vous, ici, viendra la belle. CADET, inquiet. Mon frère ?. . . 100 CADET-UOUSSEL LA MAILLARD A la môme heure il rattendra chez elle. CADET, radieux. Le pauvre frère! Alors elle m'aime? LA MAILLARD Je crois; Beaucoup plus en tout cas à présent qu'aulrofois. CADET, fat. Depuis qu'e'!le m'a vu de près ! LA MAILLARD Je suis heureuse Que vous soyez heureux 1 CADET, rêvant, tout haut. Elle, enfin, amoureuse ! Joie ! extase ! LA MAILLARD Attendez : pour les souliers, voici En quoi l'affaire est bonne. CADET, tout à son rêve. Eh ! que m'importe ! LA MAILLARD Si : (Avec Volubilité.) J'achète l'autre mois mille quatre cents paires De souliers allemands, trois charretées entières ! Je les paye comptant cinq mille francs en or, Pensant agioter sur eux : c'est un trésor ! Oui, les souliers depuis sont en hausse constante : Moi, je ne les vends pas, nul prix ne me contente ; Je refuse à gagner cent mille francs sur eux ; Je fais bien : leur taux a doublé ! Soyez heureux î C'est deux cent mille francs qu'il faut qu'on vous en donne Des acquéreurs, à ce prix-là, cela foisonne ! ACTE DEUXIÈME 10 CADET Ouoi ! Deux oeiil mille francs! . LA MAILLARD Oui, vous m'aviez prêté (".iiui mille francs naguère ; eux seuls ont profité. N a\ ais-je pas promis pour prix d'un tel service De vous les rembourser avec du bénéfice? CADET, au comble du bonheur. A!i '. ma bonne l'J'ai donc de l'argent à présent! LA MAILLARD Pas encor... CADET Que vais-je en faire... LA MAILLARD Le plus pressant ( "«' <(M'a de payer vos dettes. CADET, sans réfléchir. Quelles dettes? LA MAILLARD Aude... CADET .Je l'oubbais ! LA MAILLARD Quel mauvais cœur vous êtes ! CADET, s'installant au bureau de son frère. Une plume... de Tencre... LA MAILLARD Ilein? CADET, écrivant;. « Che?' Aiide^ je su s 'J'rrs riche... » l) Une fêle 102 CADET-UOUSSEL LA MAILLARD Mais c'osl que... CaDKT. écrivant. (( Adieu tous nos ennuis! Tu vas pouvoir enfin épouser Marielle... ...A Paris, ce sera j)lus beau... » LA MAILLARD Mais... CADET, écrivant. Sera donnée... » LA MAILLARD Où (;a? CADET, ('Clivant. «... Dau'i mon hôlel... » LA MAILLARD Lequel ? CADET. (Parlé.) Celui que je vais acheter. . . (Écrivant.) ... Dans mon hôtel. Je compte^ pour brilUr aux noces de leur fîlle^ Sur le père et la mère... » (Parié.) Ah ! ma chère famille ! LA MAILLARD Enfant ! CADET, écrivant. « ... Donc^ arrivez; ne perdez plus de temps. Embrassez-vous pour moi... vile... Je vous attends. Cadet-Roussel... » LA MAILLARD Oui.,. Mais... ACTK DEUXIÈME 10:{ CADET Envovez-la d'urgence! J.A MAILLARD 11 faut loucher l'argent d'abord, oui par prudence. CADET, l'embrassant. Ah ! ma bonne Maillard 1 LA MAILLARD, se dégageant. Laissez-moi : j'ai beaucoup A faire : Les souliers peuvent tomber d'un coup; .le veux les liquider ce soir, sans plus attendre, ■ CADET Vous croyez... LA MAILLARD, avec un sjurire. Je sais même à qui je vais les vendre. CADET A qui? LA MAILLARD Vous l'apprendrez lorsque je l'aurai fait : Cq sera bien... Pour vous, comptez sur moi. CADET Parfait ! Mais je vais m'habiller et faire diligence. Delvaporine va venir... l'heure s'avance; Et je ne voudrais pas qu'elle me vit ainsi. (Il court à la porte de droite.) LA MAILLARD Vous êtes beau... . CADET, revenant à elle. Je serai mieux... Encor merci. (Il se dirige de nouveau vers la porte pour s'arrêter de nouveau.) Mais, et mon frère? Il iéc faut pas qu'elle le voie! Pourvu qu'il sorte... hrlas? (Roussel-aîné entre par la porte des bureaux.) lu^ CADET-ROUSSEL SCÈNE X Les Mêmks, ROUSSEL-AIJNÉ ROUSSEL aîné Je sors. CADET Ah! quelle joi / ! ROUSSEL-AlNÉ ('omnienl? CADET, balbutiant. J'étais content... oui... content de le voir. ROUSSEL aîné, haussant les épaules. Il esl fou ! CADET l^u! iROUSSEL-AINÉ Pourquoi? CADET, sans réfléchir. Parce que... (Se reprenant.) Au revoir! (Il sort par la porte de droite.; SCÈNE XI ROUSSEL-AINÉ, LA MAILLARD ROUSSEL-ATNÉ, sévèrement. 11 n'est pas remboursé toujours... LA MAILLARD IN 'en ayez cure! Il ne se plaindra pas de moi je vous le jure. Voulez-vous d'une affaire énorme? J'ai pensé A vous d'abord... ACTE DEUXIÈME 105 ROUf^SEIi, remonlnnt vers la porte du jar.liii. Je no poux i)as : jo suis pressé. LA MAILLARD, la retenant. Oiichpic chose de 1res précieux à vous vendre. ROUSSEL-AINÉ Ma chère, jo n'ai pas le temps de vous entendre. LA MAILLARD Je vous tis <>aVAPOKINE, foinnie se maîtrisant. Non. CADET, haletant. Quoi? DELVAPORINE, d'un ton ferme. CADET El pourquoi? DEJ.VAP0RINE Ce serait odieux. CADET Mais... DELVAPORINE Infâme! (Avec désespoir.) .le suis à votre frère, hélas! CADET, avecjemphase. 0 noble femme ! (Souriant.) Rassurez-vous : ça n'a pas d'importance. DELVAPORINE, stupéfaite. Quoi? CADET Il sait tout. Je ne puis. ACTE DEUXIEME DELVAPORINK Lui ! Qui (loi'C a pu lui dire? CADET Moi. DELVAPORINK (>3uiuient? CADET, avec dignité Me croyez-vous à ce point malhonnête 1)0 vous faire la cour sans qu'il me le permette? DELVAPORINE, allant de surprise en surprise. Il VOUS a permis? CADET, conciliant. Nous nous sommes arrangés. DELVAPORINE, sursautant. Arrangés? CADET Après quelques mots vifs échangés .V propos d'autre chose. DELVAPORINE. m.Miic jeu. Hein? CADET Il m'advint de dire (Jiir je \(>:i> niin;iis. DELVAPORINE Et Roussel... CADET S'est mis à rire. DELVAPORINE A rire? CADET En me disant... DELVAPORINE Ouoi donc? il8 CADKT-ROIISSEI. CADKT Oui, je Tenlends Encore... DKLYAPORINK En vous disant?... CADET, prenant le ton de Roussel aîné. « Va, ne perds pas de temps, Fais lui ta cour. Cadet, convaincs moi qu'elle t'aime, El comme j'y liens moins que tu n'y tiens toi-même. Devant l'amour où vos deux cœurs seront enclins, Je me retirerai, Cadet, mais je te plains ! » DELVAPOLINE, indignée. Il VOUS plaignait? CADET Bien sûr. Car il disait encore. Le pauvre homme, en parlant de vous : « Elle m'adore! .J'ai peur pour toi que tu t'attires son courroux. Elle est aimante plus que je ne suis jaloux. C'est du culte, de la démence, du délire... ! » DELVAPORIXE, exaspérée. C'est trop! •cadet. Comment? DELYAPORIX'E Il me fallait bien le lui dire! Mais je ne l'aimais pas. CADET, enchanté. Tiens ! vous aviez du goût. Il n'avait rien d'un amoureux... DELVAPORINE, dédaigneuse. Oh! rien du tout! cadet, renchérissant. Sans cœur. ACTE DEUXIEME 119 DEI.VAPORINE Mal rlové CADET Faux. DELVAPORTNE Bête.. . CADET, trouvant quelle va trop loin, Oh !bete... DELVAPORTNE Bête, Puis, mal fait, une lête ordinaire, une tète Comme on en voit partout. . . CADET Ça c'est vrai ! DELVAPORINE Non, vraiment, Je n'eusse pas choisi moi-même un tel amant! CADP:T, surpris. Mais alors qui vous Ta choisi? DELVAPORTNE, avec m^kncolie. Je puis le dire, A vous qui sûtes voir au fond de mon sourire Quelle amertume j'ai des choses d'ici bas. Je dépendais de lui : (Cadet la regarde sans comprendre.) Vous ne saisissez pas? Parfois, la vie a des nécessités cruelles, Comme le vent du Nord brise aux oiseaux leurs ailes, Le sort brise souvent votre fortune ainsi... ! Alors, on n'est plus rien : on est à la merci Du bon cœur inconnu, du passant charitable Qui compatit à votre destin lamentable, Et qui pour prix du peu qu'il vous avait donné Exige tout... c'est ce qu'a fait Roussel-aîné! 12 > CAUET-UUL SSEL CADET, indigne^ Li' niisrral)le! Mais c'est bien fini, j'espère? DELVAPORINE, comme i\ bout de courage. Je n'ai pas achevé de gravir mon calvaire. Ilélasî Dépendre encor de lui... CADEr, r('VoU(-. (la, ])1 us jamais! Car vous êtes à moi, Madame, désormais! Oui, je mets à vos pieds mon dévouement farouche, Je veillerai sur vous : et que quelqu'un vous touche! (Avec un enthousiasme passionné). Je ne suis plus Cadet, le petit horloger, Je suis un liomme ayant quelqu'un à protéger î Pauvre être à l'abandon que je prends sous ma garde... ! 11 me semble que tout l'univers me regarde! Mais je suis assez grand pour être universel : Le vrai Roussel-aînC, c'était Cadet-Roussel! DELVAPORIME, tombant dans ses bras. Ah! si vous étiez riche! CADET Apprenez donc, cher ange, Que je le suis! J'attends... (Entre en courant la Maillard, par la porte du jardi;'. Dclvaporine s"écarte do Cadet.) SCÈNE XV Les Mêmes, la MAILLARD LA MAILLARD Pardon, je vous dérange? (A Cadet.) C'esl pour l'argent... CADET, triomphant, à Delvaporine. Quand je vous le disais... ACTE DEUXIÈME \-l\ LA MAILLARD, lui tendant un portefeuille. Voilà ^'(>s deux cenl mille francs CADET, prenant l'argent avec indifférence, sans compter. Deux cents, oui c'est cela Merci, merci. A Dclvaporino. Combien faut-il que je vous donne? Prenez... DELVAPORINE, gênée. Mais non ' LA MAILLARD, à Cadet. Vous êtes fou!... CADET, récartant. Laissez, ma bonne, ^.V Delvaporine.) |)ile< eniTibien?... Pourquoi ne le dites-vous pas? LA MAILLARD, a Cadet. Aude va recevoir votre lettre là-bas. CADET, la repoussant. Toul m'est égal. A De!vaporine en la suppliant.) Répondez-moi... DELVAPORINE, Irùs mal à l'aise. Pas toul de suite. Ainsi... GADPn', même jeu que plu^ haui. l*ourtant... DEliVAPORINE, remontant vers le fond de la scène. Adieu, j'attends votre visite. LA MAILLARD, à Cadet. Son^e/. (ladel, ;i nos deux pelils amoureux. \>1 CADKT-UOISSIOL CADET, avec passion, à Pelvaionne. Ouc VOUS serez heureuse et que je suis lieureux î (Rou3sel-aînô paraît tout ému à la porte du jardin.) SCÈNE XVI Les Mêmes, ROUSSEL-AINÉ roussei.-ainé. Cadet! Toi! CADET, courant à lui. Non, ma chance est par trop aihuirable, Oui, j'oi tout à la fois : écoute... ROUSSï:L-AI>;É, le repoussant. Misérable ! Ne te retrouve plus jamais sur mon chemin ! (Il lève la main sur Cadet, la Maillard s'interpose. Il aperçoit Dolvaporine.) Excusez... DELVAPORINE, en s'en allant : à Roussel-aîné sèchement. Il suffit ! (A Cadet avec un sourire plein de promesses.) Cher Cadet... à demain! (Cadet lui envoie des baisers, caché par la Maillard. Delvaporine sort par la porte du jardin.) SCÈNE XVII ROUSSEL-AINÉ, CADET, LA MAILLARD ROUSSEL-AINÉ, furieux. Elle aussi ! C'en est trop ! Oui, trop ! Ah ! la traîtresse ! Donc, tu me voles mon argent et ma maîtresse ! CADET, ne comprenant pas. Ton argent ? LA MAILLARD, bas à Cadet. C'est lui qui racheta les souliers. ACTt: DELXIKMK 123 ROUSSEL-AINÉ, hors de lui. Mais lu me vas dégringoler les escaliers ! CADET, se dressant avec orgueil. Non pas ! Car si je pars, c'est en levant la tête ! Tu me crois trop naïf à la fin et trop bête ! Et ne m'insulte plus : je te fais arrêter ! (Il remonte vers la porte du jardin, coiffe son bicorne, prend son om- brelle et l'ouvre.) Je suis riche : j'entends que je sois respecté I L'être d'ailleurs, n'est pas si difficile, en somme, Quand l'amour et l'argent font de vous un autre homme. Maintenant, tes conseils, que je les comprends bien ! Je les veux pratiquer autant qu'il m'en souvient. Vingt mille louis gagnés : mieux vaut qu'ils soient les nôtres! Là le malheur de l'un fait le bonheur des autres I Tout ce que tu m'as dit jadis, je le conçoi ! Adieu î ROUSSEL aîné Sans plus un mol ! CADET, en riant. Si, trois : (détaillant les mots!) cliacun pour soi I (Il sort par la porte du fond, suivi de La Maillard, et laissant Roussel aîné atterré.) RIDEAU ACTE TROISIEME ... Ah, ah, ah, mais vraimenL Cadet-Roussel est bon enfant! (Chanson populaire de Cadet-Roussel.) 12 ACTE TROISIÈME LE SALON DE C A D E T- R O U S S E L Au fond, large baie donnant sur.iin petit salon; une cheminée surmontée de trois pendules. Dans la cheminée trois chenets. A droite, trois fenêtres : une petite, une moyenne, et une grande : trois secrétaires, un devant chaque fenêtre. Sur chaque secrétaire un flambeau à trois branches. A gauche, trois portes : une petite, une moyenne, et une grande. Trois colonnes portant trois vases identiques. En scène, trois canapés : un au milieu face au public, le second à gauche, de biais, le troisième à droite de biais. Trois guéridons flanui tendant un papier.) Voici votre dernier reçu. CADET, le prenant. Bien. MATHIAS Ce papier Vous aura coûté gros 1 CADET Il vaut bien davantage ! MATHIAS Comptez quand même : joint aux autres... CADET A mon â^e, ACTE TIÎOISIÈME Ui Manger cent mille francs pour plaire à de beaux yeux, Mais c'est tout naturel et c'est délicieux. MATIIIAS, admiratif. Quand on est comme vous un roi de la finance... CADET, d'un ton badin. Les pauvres seuls, Mathias, pratiquent l'abstinence. MATHIAS Que vous êtes heureux! (Cadet sourit.) Vous me devez encor Trois mille francs. Ce sont des frais. CADET, dont le visage se rembrunit. Trois mille ! MATHIAS En or. CADET, très embarrassé. Justement je n'ai plus... MATHIAS Vous n'avez pas trois mille Francs? CADET, se reprenant. Si je les ai. Mais... cela m'est difficile Aujourd'hui. MATHIAS, avec componction. Ruiné^ déjà I CADET, furieux. Vous êtes fou ! Je vais vous les donner. (Il ouvre un tiroir du prem'er sccrctairo, en tire vingi-cinq louis qu'il compte rapidement.) La, cinq cents... (Il va dans le second secrétaire et retire un rouleau de cinquante louis.) ... et mille. i;<2 CADET-ROUSSEL (Avec inquiétude.) Où Poul bien ôtre le reste? MATIIIAS, narquois. Oui. CADET Dans ce secrétaire ! (Il va au troisième secrétaire; après avoir ouvert et fermé plusieurs tiroirs, il en tire un rouleau de cinquante louis et dix louis qu'il compte sur la table.) Mil deux cents. (Avec désappointement.) Oh! (D'un ton détaché, à Mathias.) J'ai tant d'argent chez mon notaire ! MATHIAS, même jeu que plus haut. Je conçois. CADET, fouillant ses poches dont il tire quinze louis. Plus... trois cents perdus dans mon gilet Quinze cents, douze et trois : la somme est au complet. (Avec un so'ipir de soulagement.) Ouf! ' MATIIIAS Cela ne fut pas sans mal. CADET, avec supériorité. Ma caisse est vide. Nous conservons chez nous très peu d'argent liquide. MATIIIAS Pourrais-je Vous donner un conseil? CADET, avec dédain. Donnez-le. MATHIAS Si vous avez encore un peu d'argent... ACTE TROISIÈME t.33 CADET, sursautant. Un peu. MATIIIAS Ne le dépensez plus pour de belles coquettes Qui se gaussent de vous, si vous payez leurs dettes... CADET, furieux. Taisez-vous. MATHIAS Conservez votre argent, croyez-moi : Si vous en avez trop, faites-en mieux l'emploi. CADET-, méfiant. Pourquoi me dites-vous tout ça? MATHIAS C'est que je forme Une société d'un capital énorme; C'est là que vos écus seraient bien mieux placés, Songez donc ! CADET, hors de lui. Ah!... gredin! MATHPAS, voulant s'expliquer. Je croyais... CADET, le chassant. C'est assez. Allez-vous-en! ^ MATHIAS Bien! bien! Mais mon conseil en somme Etait très bon. CADET, sans vouloir l'entendre. Dehors ! MATHIAS, en s'en allant vers le petit salon. Soit! (Une fois qu'il est au seuil, avec insolence.) Au revoir, jeune homme. (Il sort par le petit salon d'at'.ojite. 134 CADET-ROUSSEL SCÈNE II CADET, seul, avec colère. L'insolent, le niais ! Je l'ai trop entendu. Elle se gausserait de moi ! Ha ! J'aurais dû Lui faire rentrer dans la gorge un tel mensonge ! (Avec inquiétude.) Pourtant si ce qu'il dit est vrai ! ah! quand j'y songe Je me sens tout tremblant! Mon pauvre amour! hélas! J'eus tort de le laisser partir! (Gourant vers la fenêtre.) . Mathias ! Mathias ! UNE VOIX, fredonnant. Cadet Roussel a trois omis Deux à Auxerr\ Vautre à Paris... CADET Cette voix ! LA voix Le troisième est le moins fidèle Oui, mais c'est une demoiselle... CADET Mais, oui, c'est Aude. LA voix Ah! ah! ah! mais vraiment Cadet Roussel est bon enfant! CADET Lui, quelle affaire! Pourquoi leur ai-je écrit de venir? Comment faire Pour avoir de l'argent ? (Entre la valet par le petit salon.) ACTE TROISIÈME SCÈNE III CADET Le Valet, puis Aude LE VALET Un citoyen attend Pour vous parler. CADET, bas à lui-même. C'est lui ! (Haut.) Mais qu'il entre à l'instant. C'est Aude, n'est-ce pas? LE VALET Je ne sais. Il refuse De dire son nom. CADET, surpris. Ah! LE VALET On croirait qu'il s'amuse. Il m'a dit : '' Trouvez-moi Cadet, annoncez-lui Un vieil ami, très riche... Il saura qui je sui. ' CADET, tr^is surpris. Lui, très riche... (Entre Aude en courant. Le valet' sort.) AUDE Cadet! CADET Aude ! AUDE, se jetant à son cou. Que je t'embrasse ! Comme c'est beau chez foi : ce luxe me surpasse. (Il regarde de tous les côtés.) CADET N'est-ce pas, n'est-ce pas que c'est de très bon goût? j;{6 CADET-ROUSSEL AUDE Osi surprenant. CADET Ce qui me séduisit surtout C'est d'avoir entre des logis de toutes sortes Trouvé dans celui-ci trois fenêtres, trois portes; Et de plus, cela seul m'eut décidé, je crois, Le numéro m'allait : c'est le numéro trois! AUDE Et tes meubles. CADET Oui. AUDE Tiois canapés. CADET Oui. AUDE Trois tables. CADET Trois vases précieux sur trois supports instables. AUDE Trois chaises... trois pastels! CADET Et trois jeunes serins. AUDE' Trois violons, un seul archet! CADET Oui, mais trois crins! AUDE Et couronnant le tout trois pendules. (Les pendules tintent trois fois.) CADET Trois heures. ACTE TROISIÈME 137 AUDK On le reconnaît bien aux lieux où lu demeures. CADET J'en rêvais depuis si longtemps. AUDE, admirant Cadet. Es-tu bien mis. CADET Trois boutons. AUDE Qu'on est fier d'avoir de tels amis 1 CADET, souriant. Quel plaisir de te voir ! AUDE Et. pour moi quelle fête! Mais lu sais, je ne suis pas seul... CADET, soudain plus s.'rieux. Ah ! AUDE Mariette I]! ]os deux vieux Roussel sont arrives aussi... CADET Aliî... Où sont-ils? AUDE Dans un hôtel tout près d'ici ! Ils mettent leurs plus beaux habits. CADET, sans conviction. Ah !... quelle joie 1 AUDE Moi, j'ai couru, pensant : il faut que le voie Pour lui dire merci, tomber à ses genoux... (Avec volubilité.) Alors ce sera beau la fête que lu nous ^3 138 CADET-ROUSSEL Offres... dans Ion hôtel...! Tu Tas écrit... Le père Se promet d'y manger beaucoup... la mère espère Que son Roussel-ainé parlera !... Je te dis Que pour nous tous c'est le bonlieur, le paradis! Nous le devons à toi : comment ie rendre grâce? Pour moi, pour eux, il faut encor que je t'embrasse ! (Ils s'embrassent de nouveau : un toimps : Ande ne peut se lasser d'ad- mirer.) ("est beau partout : à droite., à gauche., en haut., en bas! Que tu dois être riche ! CADET Et toi ne l'es-tu pas? Tu t'es fait annoncer... AUDE, ingénument. Je le suis, c^me semble : T'enriclîissant tu m'enrichissais tout ensemble; A tes engagements, tu sus bien faire honneur! Grâce à toi, j'ai donc la fortune... et le bonheur ! CADET, très gêné. Je... AUDE, qui ne s'en aperçoit pas. Pour la fortune... CADET, dont la gène va croissant. Oui. J'accepte la moitié. AUDE, tout à son idée. J'entends qu'on la partage. CADET, même jeu que plus haut. Mais... AUDE, même jeu que plus haut. Mais pas davantage. C'est juste, quand on fut à la peine, qu'on soit Au plaisir. Il faut un peu plus penser à toi ! ACTE TROISIÈME 139 J'ai du reste arrêté ce projet en voyage Et j y tiens : c'est donc bien entendu qu'on partage. CADET, balbutiant. C'est dit... (Puis sans transition.) Excuse-moi de te quitter ainsi Une affaire à traiter à quelques pas d'ici, Aux Galeries. AUDE, surpris. Ah: CADET, mentant. Une affaire sans pareille, Un coup de bourse sur les savons de Marseille. AUDE, avec admiration. Ouel homme î CADET, se dirigeant vers le petit salon. Je reviens dans un petit moment. Je peux... AUDE Il faut du temps, tu sais, à la maman Roussel pour s'attifer... LA MAILLARD, en coulisse. Je veux le voir d'urgence. (Elle entre en scène par le petit salon et se trouve nez à nez avec Cadet.) SCÈNE IV Les Mêmes, LA MAILLARD LA MAILLARD Enfin, vous... CADET, qui veut sortir. Vous allez renouer connaissance Avec le citoyen Aude. liO CADET-IIOL'SSEL LA MAn>LARI>, voulauL lui parler. Apprenez... CADET, ne voulant i)as l'entendre. Tantôt. LA MAILLARD, insiistant. Mais c'esl très important. Ca^)ET. au valet, criant. Mon chapeau, mon manteau. Mon tilbur}'. (A la Maillard.) Quand je reviendrai. la maillard Mais... cadet Que diable! Puis-je manquer pour vous une affaire admirable? (A mi-voix.) Dites-lui tout... la maillard Comment? CADET. ... quand je serai parti! Moi je ne pourrais pas. LA MAILLARD, à Cadet qui s'eufuit. Sans cœur ! (Regardant Aude.) Pauvre petit. CADET, en s'en allant. A bientôt. (Il sort par le petit salon.) ACTE TROISIEME lil SCÈNE V AUDE, LA MAILLARD AUDE I^^li I l)i(Mi, qu'en pensez-vous, citoyenne? LA MAILLARD, avec colère, Moi! AUDE Quelle intelligence est égale à la sienne? Nous pouvons èlie fiers de notre ami commun : Pour un homme extraordinaire, c'en est un ! Croyez-vous qu'il sait être adroit, quand il spécule ! Lui qu'on disait chez lui niais el ridicule!.. LA .\L\ILLA1U), ironique. On peut dire en efl'et qu'il est intelligent ! AUDE 11 ne réussit pas seulement pour l'argent : .le jurerais que pour l'amour il fait de môme Et (pie (!éjà, c'est sûr, Delvaporine l'aime ! LA MAILLARD, éclatant. Ah cà ! Mais voilà bien, pardi, d'un autre fou : Cadet n'est rien auprès de celui-ci : mais où Allez-vous donc chercher ce qu'on vous entend dire Et ([ue Cadet, en rien, mérite qu'on l'admire? AUDE, indigné, Taisez- VOUS ! LA MAILLARD C'est un sot ! AUDE, railleur. Et vous l'aimez...? LA MAILLARD Allez lui demander si vous douiez de moi. Je croi, 13. 1'.? CADET-ROUSSEL AUDE On no lo croirait [)as vraiment à vous entendre. LA MAILLARD O que j'en dis d'abord, il le faudrait comprendre; Mais vous ne savez rien ! AUDE Eh ! Que ne sais-je pas ? LA MAILLARD (Ju'il est en ce moment dans un très mauvais pas. AUDE Un mauvais pas? LA MAILLARD Cela grâce à Delvaporine.- AUDE Que se passe-t-il donc? LA MAILLARD Mais qu'elle le ruine; Qu'il a pour l'éblouir sous-loué cet hôtel Payé d'avance, pour un mois, quel prix... AUDE, regardant l'appartement avec effroi. Oui, quel î LA MAILLARD Cela ne serait rien encore : mais le pire Ce fut qu'il lui paya ses dettes, sans lui dire... AUDE, surpris. Ses dettes I LA MAILLARD Afin de lui prouver son amour Cadet lui compte offrir ce cadeau quelque jour : Le résultat c'est que ses dépenses se montent A deux cent mille francs..! Si bien qu'en fin de compte, Ayant tout gaspillé pour elle comme un fou, Cadet n'a plus le sou. m ACTE TROISIÈME 143 AUDE, tombant de son haut. Cadet n'a plus le sou ! LA MAILLARD Vous l'ignoriez : vous n'avez plus le cœur à rire. AUDE, atterré Plus le sou, cela veut dire.. LA MAILLARD Cela veut dire Que l'argent de la dot que vous avez prêté A Cadet, maintenant on n'y peut plus compter, Et qu'il vous faut, hâtant un départ nécessaire, Ce soir reprendre la pa tache- pour Auxerre. AUDE, avec désespoir. Quoi, tous nos chers projets sont à Teau? LA MAILLARD J'en ai peur. AUDE Faut-il qu'il l'aime pour être à ce point sans cœur Avec nous. LA MAILLARD Pour manger ainsi votre fortune. AUDE, avec tendresse. Mais avons-nous le droit de lui garder rancune S'il est aimé ? Non... Nous partirons sans vouloir Lui donner de remords, ni même le revoir... Nous saurons, Mariette et moi, l'un comme l'autre, Respecter son bonheur, fût-ce aux dépens du nôtre. LA MAILLARD Cadet n'est pas heureux. AUDE, révolté. Quoi, pas même?... 144 CAIJET-UOUSSEL LA MAILLARD Il voudrait Être heureux : mais on voit comme un chagrin secret Poindre dans le honheur factice qu'il affiche. Elle ne l'aime pas, mais aime qu'il soit riche. Ouand paiCois lui s'en doute il vous fait peine à voir. AUDE, avec dc'cission. Je ne pars plus, je reste ici, c'est mon devoir. * LA MAILLARD Poui(pH)i? AUD3 Pour le sauver. (Avec violence.) Je la hais, cette femme! LA MAILLARD, ravie. C'est bien parlé ! AUDE Pauvre Cadet ! Son état d'âme ^Pa lair précaire : il faut, recouvrant la raison, Qu'il nous doive la plus complète guérison. LA MAILLARD Laissez-moi faire, j'ai là-dessus mon idée- AUDE Je vous obéirai : c'est chose décidée. L\ MAILLARD Qu'il ignore avant tout que nous sommes d'accord. AUDE Dès que vous parlerez, moi je crîrai très fort, Pour prôner aussitôt le contraire. LA MAILLARD A merveille; Mais lui déconseillant ce que je lui conseille, Laisicz-moi cependant toujours le dernier mot. ACTE TliUlSlEME 145 AUDE Cosl (lit. (On entend le roulement, d'une voiture sur le pavé. La Maillard court à 1\ lenètre elle aperçoit réc[uii)ago du Cadet.) LA MAILLARD Son tilbury qui revient au grand trot. AUDE Parlai l. LA MAILLARD C'est le moment de commencer nos rôles. (Comme si el'e conlinmit avec Aude une discussion coinmencce.) \'^is cuiiLrc Une colonne, au fond : c'était l'après-midi. 11 a même entendu tout ce qu'ils se sont dit. On s'est moqué de vous. (Craignant do trop peiner Cadet.) Un peu. CADET, même jeu. C'est impossible! LA MAILLARD Elle a dit qu'elle était à vos vœux très sensible, Mais que ne l'étant pas jusqu'à les partager ^^ous n'avez donc pas mis son honneur en danger ! CADET, indigné. Certes, je l'aime trop pour TolTenser; mais dire Qu'elle ne m'aime pas, elle... AUDE, abondant dans son sens. Elle!... CADET Qui soupire D'un sentiment profond pour moi, d'un sentiment Qu'elle n'ose avouer par pudeur seulement : Elle ne l'a pas fait, c'est faux. LA MAILLARD Je vous l'atteste. CADET, se révoltant. Vous mentez. AUDE, plus violemment que Cadet. Oui. 148 CADET-ROUSSl-L LA MAILLARD Je mens !... apprenez donc le reste Roussel qui récoutait... CADET, effrayé. Taisez-vous! LA MAILLARD Bien. CADET Parlez 1 LA MAILLARD Enfin, décidez-vous : qu'est-ce qu3 vous voulez? CADET, suppliant. Parlez'. Parlez LA MAILLARD Eh bien, Roussel, souriant d'aise, Déjà la touchait presque en avançant sa chaise Quand elle, s'ccartant tout à coup : « Quoi, mon cher. Vous voulez mon pardon : mais cela vaut très cher. Devant Cadet, jadis, vous m'avez offensée; Il faut, pour que j'oubhe une offense passée, Qu'on me rende un service, au moins, équivalent )>. — « Lequel? » lui dit Roussel. — Alors elle, semblant Lui faire une faveur : « Grand enfant que vous êtes. Vous l'aurez, ce pardon, si vous payez mes dettes ». CADET, violemment. Elle ne l'a pas dit! LA MAILLARD Non ! . Non ! Si, textuellement. CADET AUDE ACTE TROISIEME 110 LA MAILLARD Elle ne veut que cela d'un amant. CADET Ce n'est pas vrail Car j'eus la preuve du contraire 1 (A Aude.) Tu te souviens, le jour de ma fameuse affaire I) ' souliers... AUDE Je crois bien, nous étions si contents! CADET Elle m'avait prié, ce jour-là, lu m'entends... AUDE Oui. j'entends. CADET ... De venir la voir. AUDE Oui. CADET Moi, fidèle Au rendez-vous, j'étais à cinq heures chez elle. Ah! si tu l'avais vuel elle était en peignoir, Le soir tombait : j'étais très ému par le soir; Mon cœur battait très fort de lui voir tant de charmes : « Ma fortune est à vous! » lui dis-je tout en larmes. Mais elle répondit sans que sa voix tremblât : « Je ne veux pas votre fortune, gardez-la! Mais je veux votre cœur, vos soins, votre pensée... » Peut-on dire après ça qu'elle est intéressée? LA MAILLARD Ello 1(^ fut, jen suis certaine, avec Roussel : AUDE, faisant mine do soutenir Cadet. Avec Roussel, bien sûr : ce fut tout naturel i;.o CADET-ROUSSEL (Juclle clicrcliAl à Tagacer pour faire en sorte Ou'il vint à payer ses dettes : que nous importe! C'est la nécessité qui le lui commandait : Mais cela prouve-t-il qu'elle aime moins Cadet? CADET, triomphant. C'est évident, on ne peut dire le contraire : 11 est clair qu'elle m'aime, et n'aime pas mon frère! ].A MAILLARD Je ne m'y fierais pas. CADET, furieux. ' Insolente! AUDE Comment Vous convaincre de son désintéressement? LA MAILLARD Et comment vous prouver que cette grandeur d'âme N'eut pas d'autre motif qu'un calcul de la dame ? AUDE Quel moyen inventer...? LA MAILLARD J'ai peut-être un moyen. CADET, qui ne, veut rien entendre. Je m'en moque. AUDE, plus conciliant. Mais si : voyons... LA MAILLARD, à Cadet. Vous avez bien Sur vous tous les reçus de ses dettes payées? CADET Je les ai. (Avec un sourire.) Même ces quittances sont liées Par une faveur rose. ACTE TROISIÈME l.il LA MAILLARD, haussant les épaules. Ingénu! CADET, vexé. Mais... LA MAILLARD Passons ! ( '.es reçus vous comptez, vous, sans plus de façons Les lui porter? CADET Tiens... LA MAILLARD Faites mieux : ayez Faudace De voir Delvaporine et de lui dire en face : « J'ai joué, j'ai perdu ma fortune d'un coup : Je vous aime toujours, mais je n"ai plus le sou ! » (Cadet ne répond pas : La Maillard fait signe à Aude de l'aider.) AUDE, à Cadet. Essavel (A La Maillard.) Croirez-vous après ça qu'elle l'aime? CADET Mais puisque j'en suis sûr. AUDE Essaye tout de même. LA MAILLARD Si Cadet tente cette épreuve^ et s'il en sort Victorieux, je reconnaîtrai que j'eus tort! CADET, se butant. Je ne veux pas. LA MAILLARD, avec ironie. Il doute un peu de la victoire. Ahl je le savais bien! Il croîs. CADET-llOUSSEL CADKT, vfcxé. Moi j'en doule? AUDE, faisant le jeu de La Maillard. 11 faut croiro. CADET , très vexé. AUDE Tu n'as pas Tair sûr de toi. LA MAU.LARl) J'en conclus Ou(' ])our liésiler tant... CADET, éclatant. Non, je n'hésite plus; ('ar je veux vous montrer enfin lorsque Ton m'aime Si c'est pour mon argent ou si c'est pour moi-même ! LA MAILLARD, souriant. Nous verrons. CADET Vous n'allez pas attendre longtemps. Dclvaporine va venir. AUDE Ah! CaDE Je l'attends. Pour la première fois, cédant à mes instances, Elle me rend visite... (tirant une liasse de papiers de sa poche.) Et j'avais les quittances Toutes prêtes... LA MAILLARD, méfiante. Et vous allez les garder. ACTE TROISIEME CADET Pour Vous rassurer, enfermons-les à double tour Dans ce tiroir... (11 les enferme dans le tiroir d'un secrétaire.) Prenez la clef. (Il lui donne la clef.'i (On entend une voiture rouler sur le pavé • Cadet court à la fenêtre ) Elle... I en avance... (leur indiquant la porte de sa chambre.) A bientôt ! L V MAILLARD Oui. (Elle se dirige vers la seconde porte de gauche : Aude la suit.) AUDK, au moment de sortir, il s'arrête et revenant tout ému auprès de Cadet. Mon cher Cadet... C.VDET, inquiet. Quoi? AUDE, se reprenant. Bonne chance! (La Maillard et Aude sort ou t. SCÈNE VII CADET seul, puis DELVAPORINE CADET Il me fait peur! Voici que je tremble à présent. Oue vais-je faire ?... Quel air prendre en lui disant : <- .le n'ai plus rien! » Comment lui présenter la chose? 1^1 que va-t-elle enfin répondre... si je Pose? (Entre Delvaporine par le petit salon.) DKLVAPORINE, tris gracieuse. lîonjour, Cadet. CADET, ému. C'est vous... vous ici... vous, chez moi ! 1 1. \:\i CADET-ROUSSEL DELVAPORINE Je VOUS l'avais promis. CADET Excusez mon émoi. DELVAPORINE Je l'excuse... CADET (Vestsi gentil d'être venue. DELVAPORINE C'est bien pour vous... car si la chose était connue... CADET Vous risquez donc beaucoup?... DELVAPORINE Beaucoup. CADET, radieux. Tant mieux! DELVAPORINE Po CADET Plus VOUS risquez, plus j'ai le droit d'être content. DELVAPORINE, souriant. Que vous êtes enfant! V CADET, amoureux. Que vous êtes exquise!... DELVAPORINE, minaudant, Mais vous m'aviez parlé, Cadet, d'une surprise Et môme, à ce sujet, intriguée à tel point Qu'avant de le savoir je ne partirai point. CADET , avec inquiétude. Nous y voilà! DELVAPORINE Quelle est cette surprise, dites? ACTE TROISIÈME lo:> CADET, très tourmenté. Je ne sais plus. DEIvVAPORI^E Vous vous moquez. Quoi vous me fîtes Venir exprès, et puis vous ne dites plus rien! Vous êtes trop discret. CADET, même jeu. Il n y a pas moyen. DELVAPORINE Vous me faites languir, et c'est bien inutile... C'est donc difficile à dire...? CADET, même jeu. Très difficile. DELVAPORINE Vous craignez mon courroux? CADET, aTes mélancolie. Je tiens à mon bonheur. DELVAPORIiNE, afiectueuse. Vous êtes sérieux? C'est si grave? CADET, même jeu que plus haut. J'ai peur, Planant dans un beau rêve à la douceur divine, De tomber brusquement sur le sol ! DELVAPORINE Je devine La secrète raison qui vous fait hésiter A me mettre au courant. . CADET, même jeu, C'est la timidité! l'M) GADET-IIOUSSEL DKLVAPORINE (". t'st la ciainle surloul (|u'aprcs l'avoir apprise, Je vienne à me fâcher très fort pour la surprise! Afin qu'elle aboutisse, avouez, sans mentir, Oue vous fûtes forcé de me désobéir... Avouez-le. GADLT, de plus en plus troublé, Non... Je .. DELVAPORINE, très coquette et très hypocrite. Il faut que je vous aide ; Auprès de mon courroux votre trouble intercède. Je ne vous en veux pas, mais non... là, pas du tout! Mon refus de jadis fut de très mauvais goût. Vous fîtes bien, jugeant ce refus trop futile, ' De vouloir malgré moi, de force, m'être utile !... Mais vous l'êtes bien plus que vous ne le pensiez ; Ouol embarras c'était que tous ces créanciers! Et j'avais refusé ! Les femmes sont des folles! Elles ne pensent pas au sens de leurs paroles ; Pourquoi j'ai refusé, je ne m'en souviens olus. (avec tendresse.) Si ! Je trouvais tous vos autres dons superflus, \'oulant le principal : votre amour. CADET, touché. Ah! chère âme! DELVAPORINE, souriant. Mais j'avais tort. CADET, désappoialé. Ah! DELVAPORINE Car tout de même une femme rient à ce superflu, combien qu'il soit banal. Dès que son cœur est sûr d'avoir le principal. (tendre de nouveau.) El je l'avais, ayant votre amour si touchante. ACTE TROISIEME i:.? CADET, heureux. DELVAPORINE Avec vous, puis-je être méclianle? CADE^T, passionné. Vous ne le pouvez plus! DELVAPORINE, avec abandon. Je me sens lâche auprès De vous : vous me feriez souffrir! Je ne saurais Vous en vouloir; car nous sommes toutes les mêmes : Voyez, Tamour nous rend sans force... CADET, bouleversé. Alors tu m'aimes? DELVAPORINE, en rougissant. -Mais oui. CADET, épanoui. C'est le moment de vous parler sans fard. (à lui-même, avec enthousiasme.) Aude, tu-ne me fais plus peur, et vous, Maillard, Vous verrez si je crains d'apprendre, quand on m'aime, Si c'est pour mon argent, ou si c'est pour moi-même! DELVAPORINE Que dites-vous tout bas? CADET Je m'encourage... DELVAPORINE Parlez donc Coin ment! Eh bien?,.. CADET, avec décision. En deux mots, voici : Je n'ai plus rien. DELVAPORINE 158 CADET-ROUSSEL CADET Je fus dans un tripot la nuit dernière, Et là, pris pour les dés (Tune ardeur singulière, J'ai joué; j'ai perdu de Targent comme un fou : Je vous aime toujours, mais je n'ai plus le sou 1 DELVAPORINE, pÂlisaant. C/est trop fort! CADET, avec passion. N'est-ce pas,^cela vous indiffère! J'ai perdu ma fortune... Après!.. La belle affaire! De l'argent, cela peut toujours se rattraper; C'est un petit malheur passager !... Mais tromper, Partir, ne plus aimer, voilà l'irréparable : Je ne l'aurais pas fait sans être un misérable ! Rassurez-vous : mon cœur est toujours plus fervent ; Je suis pauvre, mais je vous aime comme avant! DELVAPORINE, dépitée. Que m'importe ! CADET, sursautant. Comment! DELVAPORINE, railleuse Vous êtes ridicule. Quand, comme vous, on pose à l'homme qui calcule, Au financier, on ne s'en va pas comme un sot Jeter tout son argent au tapis d'un tripot; Surtout quand ceux qu'on aime ont des ennuis!... Et dire Que j'ai pu croire en vous! J'eusse mieux fait d'en rire! Vous, m'etre précieux !... CADET, balbutiant. Mais... DELVAPORINE, riant d'an rire méchant. Vous, me protéger! (avec dédain.) Vous ne fûtes jamais qu'un petit horloger. ACTE TUOISl KM F. ir.o CADET, prêt à pleurer. Et j'eus lorl de jamais vouloir elre autre chose I Oui, j'eus tort, puisqu'avanl cette métamorphose Vous m'aimiez, et malgré mes airs plus résolus Puisqu'à présent je vois que vous ne m'aimez plus 1 (cherchant à reprendre courage.) Mais si vous désirez que je le redovionne Le petit horloger... DELVAPORINK Oh ! ce n'est pas la peine I C.\DET, s'échautïaal à mesure qu'il parle. Si, car je suis encor comme j étais jadi$ Comme lorsque maman m'appelait « mauvais fils », Et que je répondais, tout en me moquant d'elle, En lui parlant des hirondelles; l'hirondelle. C'était vous, qui nichiez tout là haut, près du toit, Et je disais aussi : « J'ai trois cœurs... » DELVAPORINE, voulant l'arrêter. Mais... CADET, continuant avec pa«!sion. Tais-toi! Je mentais. Je n'avais qu'un cœur battant des ailes Vers vous ! Car vous étiez toutes les demoiselles! Et je disais : « J'ai trois maisons », non une en or Pour Belle au bois dormant, un féerique décor; Et je vous y voyais dans mes rêves nocturnes... DELVAPORINE Cadei: CADET Autour de vous des pages taciturnes. Et dans la cour, en bas, des oiseaux, des brebis, Vous étiez une reine.. DELVAPORINE Enfin... 10(» CADET-ROLSSEL CADET Et mes habits, Je vous les ai contés I Vous souvient-il encore Qu'au troisième j'ai dû m'arreter... Je t'adore! Je vous vis apparaître; alors moi j'ai pûli.. . Je me suis tù... pourtant, c'était le plus joli !... (avec des larmes dans la voix.) Car c'était un habit ajusté pour mon âme, Un habit dont tous mes espoirs faisaient la trame, Somptueux, bien qu'il fût l'habit d'un horloger: Et je le porte encor : je n'en ai pas changé! (Un temps.) DELVAPORINE, d'un ton positif. Vous êtes un rêveur, Cadet, je vous envie Mais je ne vous suis pas : je reste dans la vie. CADET Comment? DELVAPORINE Pardonnez-moi d'être cruelle un peu : Puisque vous êtes pauvre il faut nous dire adieu. CADET, bouleversé. Nous dire adieu, pourquoi? C'est fou... C'est nécessaire. DELVAPORINE CADET Mais diles-moi pourquoi? DELVAPORINE Non! non. CADET Mon cœur se serre. J ai le droit de savoir. Parlez-moi franchement. DELVAPORINE Vous m'en voudrez de ma franchise. ACTE ÏU0ISIEM1-: 101 CADET Non, vrainicnl. 1)KLVAP0RIM<: Si! Laissez-moi partir! Vous m'en voudrez, vous clis-jo CADET Non! Parlez! Expliquez-moi tout. DELVAPORINE Mais... CADET Je l'exige. DELVAPORINE, avec une franchise sans pitié. Eh bien, tant pis pour vous; voici la vérité : ^'otre amour, si je l'ai jusqu'ici supporté C'est que j'ai cru, sachant le naïf que vous êtes, Trouver en vous quelqu'un qui me paîrait mes dettes. CADET, tout angoissé, C'est vrai?... DELVAPORINE, s'échauffant à son tour, à mesure quelle parle. Vous ne pouvez les payer, à présent, FA vous ne doutez pas d'être assez séduisant. Pour que, malgré cela, vous me plaisiez encore ; Vous trouvez naturel alors qu'on vous adore? CADET, même jeu que plus haut. Mais je... DELVAPORINE Vous en étiez trop sûr, toujours, Cadet, Et cette suffisance à la fin m'obsédait. CADET Pou riant... DELVAPORINE Vous en étiez arrivé, ma parole, A vous croire un petit don Juan dont j'étais folle. i:; 11,2 CADET-ROUSSEL CADET, naïvement. Oui. DELVAPORINE, ironique. C'était une erreur. Et cette fatuité ( )no ri(Mi n'explique, avait fini par m'irritcr. CADET, suppliant. (Test assez!... DELVAPOUINE Je comprends que Ton s'illusionne Sur soi-même; mais vous, regardez-vous : personne N'a moins l'air d'un amant que vous : vous êtes laid... I CADET, désespéré. Oui... DELVAPORINE ... Dépourvu de charme et de tout ce qui plaît. Vous n'avez pas d'esprit, vous manquez d'élégance, Vous n'eûtes qu'un atout un jour... CADET, avec une lueur d'etipoir. Un seul? DELVAPORINE ... La chance! Mais vous l'avez perdu. CADET, suppliant. Je vous en prie... DELVAPORINE ... Enfin, Vous n'avez rien de rien : ni beau, ni fort, ni fin... ! CADET, avec désespoir. Mais oui, c'est entendu. DELVAPORINE ... Je demeure étonnée Que vous m'ayez pu croire à vos vœux destinée. ACTE TROISIÈME 103 Et que vous ayez pu, Cadet, penser jamais Que vous étiez aimable... et que je vous aimais î CADET, tombant à genoux. Non I plus de vérités ! DELVAPORINE C'est trop tard ! CADET, avec violence. Je préfère Des mensonges... Mentez! DELVAPORLNE Mais je voulais le faire. Vous n'avez pas voulu : vous avez exigé Ma franchise, sans en pressentir le danger CADET, pleurant l^uvais-je me douter? C'est affreux. DELVAPORINE, sincère. Je vous jure Que j'aurais mieux aimé n'être pas aussi dure ! CADET Ainsi lout est fini... DELVAPORINE, mélancolique. J'aurais trouvé plus doux De partir sans cesser d'être adorée de vous. Etre adorée, encor... CADET DELVAPORINE C'est ainsi que nous sommes ! Coquettes, nous voulons les hommages des hommes. Qu'ils nous aiment avant, penilant... et môme après. Plutôt que me montrer si sincère, j'aurais hii CADEÏ-UOUSSEL Préféré vous laisser le souvenir plus tendre D'un mensonge... Vous n'avez pas voulu m'enlendre ,1e vous aurais trompé de mots délicieux... \'ous m'eussiez regrettée... et c'eût été bien mieux. CADET, tombant sans forces sur un canap( Peut -être. (Un temps ) DELVAPORINE Adieu , Cadet. CADET Déjà? DELVAPORINE Mais oui. ' CADET Si vile! DELVAPORINE Pourquoi rester encore : il faut que je vous quilt ^ CADET Pour toujours? DELVAPORINE Pour toujours? (Elle se dirige vers le petit salon.) CADET Restez. Rien qu'un petit Moment... DELVAPORINE Non... CADET, affolé. C'est très grave... Écoutez... j'ai menti. (Courant vers le secrétaire.) .J'ai là tous les reçus... oui, de toutes vos dettes La Maillard a la clef... ACTE TROISIÈME UVS DELVAPORINE Quel chagrin vous me faites. CADET, appelant. M.iiilar.i: Maillard! DELVAPORINE Vous souffrez trop, me voyant là. CADET, appelant encore. Maillard: DELVAPORINE, se dirigeant vers le petit salon. Vous ne serez pas seul... CADET, suppliant. Attendez-la! DELVAPORINE ,îo ne peux pas ne pas partir, I CADET, })oule\erst*. f^estez quand môme. DELVAPORINE A. lion : ^ Il pleure.. Elle, émue : ) Ne pleurez pas autant. CADET Si... Je vous aime. DELVAPORINE, avec mélancolie. \'ous êtes bien heureux d'aimer... CADET, sanglotant. Mon Dieu! Mon Dieu! DELVAPORINE, même Jeu f[ue plus haut. \ oiis m 'oublierez .- LT). 11,6 CADET-ROrSSEL CADEï Non. DELVAPORIiNE Si. CADET, tendant les bras vers elle. Delvaporine I... DELVAPORINE, disparaissant. Adieu ! (Elle sort par le petit s;ilon.) SCÈNE VIII CADET, puis LA MAILLARD et AUDE CADET, tout en sanglottant. Maillard! LA MAIIiT.ARD, accourant par la seconde porte de gauche. Aude In suit. Vous m'appelez? CADET Oui... déjà, tout à l'heure. LA MAILLARD, feignant la surprise. Je n'ai pas entendu... (Elle voit qu'il pleure. Avec tendresse :) Vous pleurez... CADET Si je pleure !... AUDE Il m'avait bien semblé, moi, l'entendre appeler. CADET Mais oui. LA MAILLARD Qu'aviez-vous donc? Vous vouliez me parler? ACTE TROISIEME 16T CADET, baissant la tête. Xonl Je voulais la clef : c'était d'un misérable. LA MAILLARD, bas à Aude. Je m'en cloutais... CADET, désespéré. Hélas ! Elle était adorable ! Elle ne m'aime pas. LA MAILLARD, maternelle. Xoxis voyez I CADET Vous aviez Raison... Tout, elle m'a tout dit, si vous saviez... LA MAILI^RD, même jeu que plus haut. Nous vous consolerons. CADET Merci, vous êtes bonne. AUDE, très affectueux. Pauvre ami I CADET, pris de remords. Aude, toi, pardonne-moi, pardonne... AUDE Pourquoi? CADET Je ne suis pas riche. AUDE Mais... CADET Non! je n'ai Plus rien. Je t'ai menti. I s CADET-ROUSSEL AUDE Mais... CADET Je suis ruiné, .l'ai l'ail votre malheur. AUDE, tendrement. C'est le tien seul qui compte. Car le nôtre, Cadet, est de ceux qu'on surmonte. Pas d'argent : nous saurons attendre et sans rancœur : [.es vrais chagrins, les seuls, sont les chagrins du cœur; Les autres, quand on s'aime, ont peine à vous atteinlre, VA c'est pourquoi loi seul à celte heure es à plaindre. CADET, raconnaissant. Ami trop indulgent... Merci pour la bonté. Quel exemple! Pourquoi m'as-tu jamais quitté? LA MAILLARD .Mais que vont dire vos parents? AUDE La citoyenne Roussel surtout! CADET, effrayé. Mon Dieu! LA MAILLARD Il faut qu'on la prévienne ! AUDE Oui, moi. LA MAILLARD Bien. CADET Maman va se montrer sans pitié. AUDE Elle usera sur moi sa colère à moitié. N'olre père? ACTE TROISIÈME ICO LA MAILLARD CADET Oh ! papa, lui son âme est meilleure, Il uie plaindra, AUDE, se dirigeant vers le polit salon. J'y vais. i:adeï Cher Aude... AUDE A tout à l'heure. (Il sort par le petit salon.) SCÈNE IX CADET, LA MAILLARD, puis un Valet CADET, sincère. Comme je suis puni! Mais comme c'est bien fait! LA MAILLARD ^'o^s èles dur, CADET, avec amertume. Car j'eus le courage, en effet Dj l>alir sur mes plans, contre-carrant les vôtres, Mon bonheur, sans respect pour le bonheur des autres. J'ai fait le malheur du meilleur de mes amis, Celui de Mariette à qui j'avais promis Des millions de dot, promesse téméfaire, Lnfin j'ai fait aussi le malheur de mon frère; Tout cela pour en somme obtenir quoi : rien! rien! J'ai gâché trois bonheurs et n'ai pas fait le mien ! LA MAILLARD C'est le sort des petits surtout que je déplore. CADET r»('iaisons leur bonheur! no CADET-ROUSSEL LA MAILLAUI) Mais comment? CADET Je l'ignore ! (Entre un valet par le petit salon ) LE VALET Un ciloyen qui veut vous voir. CADET A-t-il donné Son nom? LE VALET Oui, par écrit. (11 lui tend une carte.) CADET, la lisant, stuptjfait. Ah! LA MAILLARD Quoi? CADET Roussel-aîné ! (Entre Roussel-aîné, très content et très gai. SCÈNE VI Les mêmes, ROLSSEL-AINÉ ROUSSEL-AINÉ, lui tendant la main. Bonjour, mon cher Cadet. CADET, gêné. Bonjour... ROUSSEL-AINÉ Cela t'étonne De me voir. CADET, même jeu que plus haut. Tu ne m'en veux plus... ACTE TROISIEME ITl ROUSSEL-AINÉ Je te pardonne. Nous nous étions fâchés, je ne sais plus pourquoi ; J(^ viens te proposer une affaire. CADET, t'ionné. Qui, toi? ROUSSEL-AINÉ J'ai rencontré Delvaporine tout à l'heure. CADET Ab: ROUSSE I,-AINÉ Oui m'a dit votre rupture... cadb:t Dont je pleure! ROUSSEL-AINÉ Moi j'espérais cette rupture à ton insu. CADET Pourquoi? ROUSSEL-AINÉ, sincère. Je l'aime 1 CADET, palissant. Ah! ROUSSEE-AINÉ Oui, je m'en suis aperçu, Ouand j'ai compris qu'elle pouvait m'être infidèle. CADET, anxieux. Alors...? ROUSSEL-AINÉ " Je sais pourquoi tu t'es séparé d'elle. Tu lui dis ne pouvoir payer ses dettes. Or Je sais que tu mentais. Et je sais mieux encor, 172 CADET-nOUSSEL Je sais, Malhias m'a dit ce secret d'importance, Qu'il ne le manquait pas une seule quittance. Ces quiUances, j'en ai besoin. CADET El pourquoi donc? ROU.SSEL-AINÉ Pour que la belle enfant m'accorde son pardon. Vends-les moi. GADP:T, indigné. Te les vendre! Ah ça, tu perds la lele ! ROUSSEL-AINÉ 11 faut absolument que je te les achète! Elle a mis, je te dis, mon bonheur à ce prix, Tu ne me revendras que ce que lu m'as pris. CADET, gt^néreux. Je le les donnerais plutôt. ROUSSEL-AINÉ Mais tout de suite. CADET, on stnt qu'il soufiro beaucoup. Comprends donc cependant, quand même que j'hésite Je ne peux plus l'aimer : soil, j'y renonce ; mais Voir heureux à ma place un autre désormais C'est trop pénible aussi, c'est trop de sacrifices! ROUSSEL-AINÉ Puisqu'il fallait dans tous les cas que lu le visses, Mieux vaut que ce soit loi qui de loi triomphant lin sois cause : Cadet doit être bon enfant! (Cadet se laisse émouvoir par son frère.) LA MAILLARD, s'iuterposant, Ça n'est pas mon avis. ROUSSEL-AINÉ ,Quoi? aGTI'] THOISIKME 173 LA MAI [.LA RI) Je VOUS crois Miicère; -Mais sa Ijonlé pour vous n'esl pas si nécessaire. ROUSSEL ALNË, positif. Ilevenons au marché I LA MAILLARD Bon ! CADI-T, bas à la Mailhn-d. Pourtant! LA MAILLARD, bas à Cadet. Taisez-vous, Je veux faire avec lui d'une pierre deux coups. ROUSSEL-AINÉ J'achète I s reçus : combien? LA MAILLARD, narquoise, D'argent liquide?... ROUSSEL aîné, troublé. Oui... Oui... LA Mail LARD Nous savons bien que votre caiss3 est videl ROUSSEL-AINÉ Mais je vous signerai tout ce qu'il vous plaira... LA MAILLARD Signez donc un papier, cela nous suffira. ROUSSE LA [NE Ouel papier? LA MAILLARD, prenant dans un secrétaire" de quoi ('crirc et le posn.iL sur le guéridon du milieu. Ecrivez. (Roussel-aîné s'assied pour éciiro.} Il) ITt CADET-liOUSSEL CADET, bas à la Maillard. Qu'est-co ? I.\ MAILLARD, bas k Cadet. Laissez-moi faire. Pour Aude... CADET Je comprends. LA MAILLARD C'est une bonne affaire Le bonheur des pelils. CADET, généreux. Je le leur devais bien ; C'est une bonne affaire : il ne me reste rien. ROUSSEL-AINÉ J'attends. LA MAILLARD, dictant à Roussel-aîné qui écrit. Je soussigné^ déclare tenir quitte Le citoyen Aude... ROUSSEL-AINE, comprenant. Ah! LA MAILLARD, dictant. De sa dette souscrite Envers moi : Le susdit sera seul détenteur^ Désormais., et non moi, de tous ses droits d'auteur... ROUSSEL-AINÉ Très bien ! LA MAILLARD, dictant. Déplus... ROUSSEL-AINÉ, sursautant. Encor ! ACTE TROISIÈME 17!i LA MAILLARD, dictant. Je dois au dit jeune homme, Pour servir de dot à Mariette,.. ROUSSEL- aîné Hein? LA MAILLARD, dictant. La somme De dix mille fra?i es d'or... ROUSSEL-AINÉ, très inquiet. Comment les lui donner? LA MAILLARD, dictant. Payables à mon gré. (A Roussel-aînë.) Signez! ROUSSEL-AINÉ, signant Roussel-aîné. (La Maillard prend lo papier signé.) CADET qui, cependant a pris les reçus dans le tiroir, les tend à son fière. Tiens : les reçus. ROUSSEL-AINÉ, les feuilletant. Toutes les dettes son! payées? CADET Toutes! Il n'en est pas qui furent oubliées. (Avec tristesse mais très simplement.) Je l'ai fait, sans savoir qu'elle ne m'aimait pas, Je l'ai su : c'est fini. Tu les lui remettras. ROUSSEL-ALNÉ Merci. CADET Sois plus heureux (|ue moi. 170 CADET-llOUSSEL ROUSSEL-AINÉ, ému. Caclot pardonne. Je comprends la leçon que la bon Lé me donne ; Tu fis liien d'oublier mes conseils d'autrefois : Je reconnais mes lorts : c'est la première fois ! CADET, avec mélancolio. Tous vos bonlieurs feront ma peine moins intense. l']| !(^ mien seul manqué, ça n'a pas d'imporlanc '. (KilrL>nl par lo polit silon, la m^ro II )ih^o', la \>hi-o Il>;us vraiment Cadet /{oussel est bon enfant! RIDEAU Paris, — !.. Makktiiklx, nnpriineur, 1, rue CasscU. l / PQ Richepin, Jacques 2635 Gadet-Roussel I3G3 ^ PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY ■^^,'*<' ^,^-